Peut-être avez-vous parfois l’impression que votre quotidien est de plus en plus soumis à une rationalité technocratique qui étouffe la poésie, nivelle les dérives et condamne toute velléité de pas de côté. Le monde serait devenu gris, terne et fonctionnel. Rien n’échapperait plus à la morne rectitude de l’optimisation efficiente.
Or, détrompez–vous, certaines technologies modernes, sous leur aspect clinique, cachent parfois des origines baroques.
C’est le cas par exemple du DVD ou du disque Blu-ray. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi ils mesurent 12 cm de diamètre ? C’est parce qu’ils sont directement issus du CD, qui lui aussi mesure 12 cm. La question devient alors : mais pourquoi le CD mesure-t-il 12 cm ? Le premier prototype du CD, mis au point par Sony et Philips à la fin des années 1970 était en fait plus petit. Un soir, Akio Morita, le président fondateur de Sony est rentré chez lui et a montré à son épouse le prototype du CD en lui disant : « regarde chérie ce que nos ingénieurs sont parvenus à faire : on peut mettre toute une symphonie sur une seule face de ce disque. » Jusque-là en effet, avec les vinyles, il fallait retourner le disque pour écouter de longs morceaux. Madame Morita demanda alors à son mari : « toute une symphonie ? Même la 9e de Beethoven ? » la 9e de Beethoven est en effet une des symphonies les plus longues du répertoire classique. Akio Morita n’avait pas la réponse. Le lendemain, il demanda à son département de R&D si un seul CD pouvait contenir la 9e de Beethoven, dans la version de l’orchestre philharmonique de Berlin dirigée par le chef Herbert von Karajan, qui était sous contrat avec son allié Philips. C’était impossible : le disque était trop petit. Morita demanda alors d’augmenter le diamètre du CD de manière à répondre à la demande de sa femme. Il se trouve que la taille minimale est de 12 cm. Qui donc a défini la taille du DVD et du Blu-ray ? Les époux Morita, Karajan et surtout Beethoven, mais on peut être certain qu’il n’y a pas pensé.
Un autre exemple tout aussi étonnant est celui des boosters de la navette spatiale américaine. Ils étaient fabriqués dans l’Utah puis expédiés par train jusqu’à Cap Kennedy en Floride. Or, cela impliquait que leur taille n’excède pas l’écartement standard des voies de chemin de fer aux États-Unis, soit 4 pieds 8,5 pouces (c’est-à-dire 143,51 cm). D’où vient cette mesure étrange ? D’Angleterre, où les États-Unis avaient acheté l’essentiel de leur équipement ferroviaire au milieu du 19e siècle, lorsqu’ils ont constitué leur propre réseau. Et pourquoi les pionniers du train anglais avaient choisi cette mesure ? Parce que c’était déjà celle adoptée depuis longtemps par les fabricants de charrettes, dont les trains étaient issus. Quant à l’écartement des roues des charrettes, il a été standardisé par l’armée romaine, il y a plus de 2000 ans. Cette standardisation répond à un besoin pratique : en passant, les charrettes créent des ornières, et fixer l’écartement des roues creuse des sillons homogènes. Il se trouve que la dimension de 143,51 cm correspondait, selon les ingénieurs romains, à celle de la croupe de deux chevaux utilisés à l’époque pour tirer les chars de guerre. On peut donc en déduire que la taille des boosters de la navette spatiale est une conséquence de celle de la croupe des chevaux romains il y a plus de 2000 ans, ce qui est pour le moins insolite.
Bien entendu, ces deux exemples sont des exceptions, mais ils démontrent que même au temps des normes omniprésentes, des certifications proliférantes et des réglementations tatillonnes, il reste de la place pour l’inattendu, le bizarre et le décalé. Profitons-en, tant que cela dure.
Publié le lundi 12 mai 2025 . 4 min. 04
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