Vous avez peut-être l’impression que certaines décisions sont prises sur un coup de dé, et que certains décideurs sont en fait des parieurs, qui misent sur un numéro en espérant qu’il sorte.
Pour autant, le type de hasard auquel vous êtes confronté lorsque vous jouez aux dés, à la loterie ou à la roulette n’a rien à voir avec la vraie vie. Le hasard de la loterie, c’est un hasard atténué, domestiqué, dévitalisé, qu’on appelle l’aléatoire, en référence au latin « aleatorius », qui signifie « qui concerne le jeu de hasard ». D’ailleurs, le mot hasard dérive lui-même d’un mot arabe désignant le jeu de dés. Dans un système aléatoire vous savez par avance tout ce qui peut se passer : tous les états finaux possibles sont connus et immuables. Le dé n’a que six faces et la roulette ne comprend que trente-six numéros, plus le zéro. De fait, vous pouvez calculer la probabilité de chacun de ces événements et donc le gain ou la perte potentielle de votre mise. Dans cet environnement probabiliste, le calcul du risque est aisé et précis. L’aléatoire caractérise les systèmes fermés.
À l’inverse, les décisions que vous prenez dans votre vie ou dans votre entreprise sont confrontées à un univers ouvert : vous ne disposez pas à l’avance de la liste exhaustive de tous les événements susceptibles de se produire. Des situations inédites peuvent survenir. Une cathédrale construite il y a 800 ans peut brûler en quelques heures, un gouvernement peut confiner sa population pour combattre une pandémie, et un réseau social chinois peut devenir une source d’information clé en Roumanie. De fait, si tous les états possibles du système ne sont pas connus, le calcul du risque de chaque événement devient impossible. C’est un peu comme si aux dés il sortait subitement un sept, ou qu’à la roulette, le croupier annonçait « 37 », « -15 », voire « Pi ». De fait, pour désigner l’incertitude du monde réel, on parle non pas d’aléatoire, mais d’improbable : ce qui ne peut pas se probabiliser.
Or, être confronté à l’improbable est une situation tellement inconfortable, voire vertigineuse, que nous préférons « faire comme si » il s’agissait d’aléatoire, et nous nous rassurons en calculant des probabilités, en estimant des risques et en construisant des modèles prédictifs. Un des outils les plus classiques de l’évaluation des projets, le calcul de la valeur actuelle nette, est un exemple flagrant de cette illusion : pour choisir entre deux projets, on actualise leurs gains futurs sur les 5 ou 10 prochaines années, alors qu’en réalité nous n’avons aucune certitude sur le fait qu’il y aura effectivement des gains l’année prochaine. Nous ne savons même pas si nous aurons encore des euros l’année prochaine.
En fait, en confondant l’improbable et l’aléatoire, nous appliquons la célèbre maxime selon laquelle « lorsqu’on est perdu à Londres, mieux vaut avoir un plan de Paris que pas de plan du tout ». C’est peut-être rassurant, mais c’est faux.
Publié le mardi 24 juin 2025 . 3 min. 19
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