Dans beaucoup d’industrie, les dirigeants déplorent une banalisation des offres : du fait de la disponibilité des technologies, de l’homogénéisation des savoir-faire et de la convergence des stratégies, tous les concurrents finiraient par maîtriser les mêmes ressources et les mêmes compétences, et donc par proposer des produits et des services interchangeables, dont la seule différence se jouerait au niveau du prix. Or, la concurrence sur les prix entraîne nécessairement un recul du chiffre d’affaires et un effondrement des marges. La banalisation des offres est donc profondément délétère.
Or, vous êtes-vous déjà demandé si cette banalisation – que l’on désigne aussi parfois d’un affreux anglicisme, « commoditization » – est effectivement vérifiée dans la pratique ?
Comme le rappelle Michael Shrage, du MIT, la peur de la banalisation a été cristallisée par une célèbre formule de Bruce Greewald, professeur de finance à Columbia : « A long terme, tout est un grille-pain. » Que vous vendiez des microprocesseurs, des vaccins, des services financiers ou des formations universitaires, peu à peu, votre offre va devenir indiscernable de celle de vos concurrents, tout comme le grille-pain est devenu l’archétype du produit banalisé. La formule est lapidaire et l’image est frappante.
Cependant, le grille-pain est-il vraiment un produit banal ? Faites le test : sur le site Internet d’une grande enseigne d’équipement de la maison, on compte en fait plus de 800 références de grille-pain, avec des prix allant de 9,99 euros pour un modèle basique de marque distributeur à 1 100 euros pour un modèle de luxe italien avec contrôle électronique du dorage et réglage du niveau de coloration de la tartine. Il existe des modèles de toutes les couleurs et même transparents, avec 2, 4 ou 6 fentes, verticaux, horizontaux ou rotatifs, avec une puissance allant de 600 à 3000 watts. En fait, le grille-pain n’est pas du tout un produit banal. Au contraire, l’industrie du grille-pain est caractérisée par l’innovation, la différenciation et la segmentation.
Mais alors, si la métaphore du grille-pain est fausse, pouvez-vous donner un bon exemple d’offre banalisée ? Vous pourriez penser au clou, mais une simple visite dans un magasin de bricolage vous montrera qu’il en existe plus de 180 références, au papier-toilette, mais il existe de multiples formats, couleurs, épaisseurs, voire senteurs, ou encore à l’essence, mais là encore dans toute station service vous trouverez plusieurs carburants incorporant divers additifs, et proposés à des prix différents.
Au total, la banalisation des offres est un mythe. Brandir l’épouvantail de la banalisation, c’est oublier le prodigieux pouvoir de l’ingéniosité humaine, qui dans toute industrie, pour tour produit ou service et sur tout marché, parvient toujours à trouver une différenciation pertinente. Jusqu’aux années 1990, le café était ainsi considéré aux États-Unis comme l’exemple canonique de la « commodité » indifférenciée. Puis Starbucks a réussi à faire accepter aux Américains de payer 4 dollars pour un expresso. De même, les producteurs de clémentines corses ont eu l’excellente idée de débanaliser leur production en laissant les feuilles sur leurs fruits, de manière à signaler leur différence.
Par conséquent, tout est débanalisable et rien n’oblige à ce que la concurrence porte exclusivement sur les prix. Si vous constatez une banalisation des offres dans votre industrie, vous constatez avant tout votre propre absence de créativité.
Publié le mardi 23 juin 2020 . 3 min. 41
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