Les entreprises ont généralement tendance à surestimer l’intérêt de la performance et de la sophistication de leurs offres. Alors qu’elles cherchent le plus souvent à améliorer les spécifications et la qualité de ce qu’elles vendent, leurs clients – ou du moins une certaine proportion d’entre eux – peuvent tout à fait se satisfaire de l’existant, voire d’offres moins élaborées, mais qui répondent finalement tout aussi bien à leurs besoins. Ces offres suffisamment bonnes constituent un danger classique dans de nombreuses industries.
Ce qui pousse les entreprises à toujours faire mieux, au point de s’éloigner des attentes véritables de leur marché, c’est un phénomène particulièrement retors appelé « syndrome du mourir sur le haut de gamme ». Imaginez qu’au sein de votre industrie, vous cherchez à vous différencier par un niveau de performance et de qualité supérieur à la moyenne. Vous allez de fait attirer une catégorie spécifique de clients, ceux qui recherchent avant tout la performance et la qualité. De fait, lorsque vous allez les interroger, ils vont vous réclamer encore plus de sophistication, puisque c’est déjà leur critère de choix. Bien entendu, vous allez les écouter, car cela fait écho avec votre propre stratégie, et vous allez proposer une nouvelle génération de produits, encore plus perfectionnée et encore meilleure. Ce faisant, vous allez de nouveau sélectionner, à l’intérieur de votre marché précédent, les clients qui sont encore plus attirés par la performance et la qualité. De loin en loin, vous aurez de moins en moins de clients de plus en plus exigeants et vous finirez par mourir avec un seul client, le plus exigeant de tous.
Un exemple fameux de ce syndrome du mourir sur le haut de gamme est le fabricant français d’objectifs pour la photo et le cinéma Angénieux, qui à force d’innovations toujours plus extraordinaires a fini par équiper la Nasa : les premiers pas de l’homme sur la Lune ont ainsi été filmés avec un objectif Angénieux. Malheureusement, ces objectifs sont devenus tellement chers (certains coûtent plus de 100 000 dollars) qu’Angénieux a été racheté par Thales, qui le cantonne désormais au marché professionnel.
Afin de ne pas tomber dans le syndrome du mourir sur le haut de gamme, n’oubliez jamais que votre offre – qu’il s’agisse d’un produit ou d’un service, et que vous la vendiez en BtoC ou en BtoB – n’a en fait qu’un seul but : répondre à ce que le professeur de Harvard Clayton Christensen appelle le « job to be done ». Dès qu’une offre est suffisamment bonne pour « faire le travail », tous les perfectionnements techniques que vous pouvez lui adjoindre sont bien entendu gratifiants, et ils peuvent séduire une certaine frange de clientèle, mais ils ne rajoutent pas nécessairement de la valeur pour l’essentiel du marché. Par conséquent, veillez à ne pas verser dans la sur-qualité par simple amour de la belle ouvrage, méfiez-vous de la recherche de la perfection, qui est plus un plaisir intellectuel qu’une recette de succès, et souvenez-vous, surtout si vous êtes ingénieur, que « fait, c’est mieux que parfait. »
Publié le lundi 16 décembre 2019 . 3 min. 01
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