Vous avez forcément déjà entendu parler de la célèbre notion de « destruction créatrice », forgée par l’économiste autrichien de la première moitié du vingtième siècle, Joseph Schumpeter. De nombreux fondateurs de startup s’appuient sur ce principe pour bouleverser des industries établies, que ce soit dans la banque, dans les transports ou dans les services à la personne, et bien des dirigeants d’entreprises le mobilisent pour légitimer leurs plans de restructuration, présentés comme des démarches de progrès. La destruction serait ainsi considérée comme la forme ultime de la création, et par extension, les destructeurs seraient assimilables à des créateurs. Faire table rase du passé serait la condition de l’innovation.
Or, la notion de destruction créatrice est plus subtile que cela. Comme le disait très justement Keynes, « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ». Par nature, une organisation est une forme d’orchestration de l’inertie. Si nos comportements sont constamment remis en cause, toute collaboration est pratiquement impossible. La confiance que vous inspirez repose sur la pérennité de vos actions. De fait, le management, en tant que conduite de l’action collective, consiste à établir des routines, à dupliquer des procédures et à mobiliser l’expérience accumulée. Les organisations les plus efficaces et les plus efficientes sont celles qui sont capables d’optimiser leurs actions en s’appuyant sur l’exploitation de leurs compétences.
Cependant, si dans votre industrie tout converge vers l’optimisation la plus efficiente, la concurrence se déplace peu à peu sur les coûts, et donc sur les prix, aux dépens de votre rentabilité. Lorsque l’ordre l’emporte, la création de richesses diminue. Dans l’industrie automobile, par exemple, les marges dégagées par les constructeurs sur les modèles de grande diffusion sont dérisoires, car tous utilisent les mêmes techniques avec la même minutie, pour proposer des véhicules dont les caractéristiques sont plus ou moins identiques. Cette course vers l’optimisation est une course vers la ruine.
Par conséquent, pour assurer sa pérennité, votre organisation doit être capable d’évoluer, et donc de mettre en cause ses habitudes, ce qui implique de contester des savoir-faire patiemment accumulés. C’est la raison pour laquelle Schumpeter défendait le personnage de l’entrepreneur innovateur, capable de bouleverser une industrie en proposant des offres nouvelles, qui seules permettent de rétablir les marges. Les entreprises établies y voient la destruction de leurs ressources et compétences, alors que l’entrepreneur le conçoit comme la création d’un nouvel espace de concurrence.
Un demi siècle avant que Schumpeter ne parle de destruction créatrice, Napoléon III avait déjà affirmé : « On ne remplace que ce que l’on détruit ». Par nature, les organisations cherchent à préserver leurs acquis et à exploiter leurs savoir-faire, ce qui est une démarche de saine gestion. Malheureusement, cette saine gestion conduit peu à peu à l’immobilisme. Pour éviter la paralysie et le conformisme, il est donc indispensable d’introduire des solutions nouvelles. Cet impératif de l’ordre et du désordre, de l’exploitation et de l’exploration, de la continuité et de la rupture, est un des dilemmes les plus redoutables du management, notamment étudié par James March ou Clayton Christensen. Le rôle du gestionnaire est de parfaire l’existant, alors que celui du stratège consiste à l’oublier.
Publié le jeudi 11 février 2021 . 3 min. 30
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