La stratégie Océan Bleu, ce n'est pas une stratégie concurrentielle
Publié le mercredi 29 novembre 2017 . 3 min. 12
Vous connaissez certainement le principe de la stratégie océan bleu, définie par W. Chan Kim et Renée Mauborgne : plutôt que l’affrontement direct avec les concurrents, qui conduit à une convergence des offres et une érosion des marges – c’est-à-dire ce qu’il est convenu d’appeler un océan rouge – il s’agit d’élaborer un positionnement original, susceptible d’attirer une nouvelle clientèle, et donc de déplacer le marché vers une zone encore vierge – poétiquement qualifiée d’océan bleu. Les deux exemples les plus classiques d’océans bleus sont le Cirque du Soleil, la compagnie de spectacles montréalaise qui a réinventé le modèle historique du cirque en Amérique du Nord, et le vin australien Yellow Tail, qui a largement simplifié la difficulté qu’éprouvent de nombreux consommateurs, pas toujours au fait des subtilités des cépages et des millésimes, à choisir leurs bouteilles. L’océan bleu fait désormais partie des fondamentaux de la stratégie. Le modèle est convaincant, les exemples sont parlants et l’image est séduisante. Pour autant, s’agit-il bien de stratégie ?
Fondamentalement, déployer une stratégie consiste à obtenir un avantage concurrentiel, c’est-à-dire à dégager une rentabilité structurellement supérieure à celle de vos concurrents. Pour cela, vous pouvez proposer soit une offre différente, soit la même offre, mais obtenue différemment. Bien entendu, pour que cet avantage concurrentiel soit décisif, durable et défendable, il est nécessaire qu’il repose sur des éléments que vos concurrents auront des difficultés à imiter. Il peut s’agir de ressources uniques, de compétences distinctives, ou plus subtilement d’un modèle économique qui, de leur point de vue, n’est pas attractif. C’est notamment le cas lorsqu’il les contraint à renier leurs propres engagements stratégiques. Dans l’idéal, obtenir un avantage concurrentiel consiste donc à établir une certaine forme de concurrence déloyale : si votre succès repose sur quelque chose que vos concurrents ne peuvent pas ou ne veulent pas imiter, il sera d’autant plus pérenne.
Or, par définition, la stratégie océan bleu ne consiste pas à établir un avantage concurrentiel, mais à s’abstraire totalement de la concurrence. Il ne s’agit pas de l’emporter face aux concurrents, mais de ne plus avoir de concurrents. Si l’océan est bleu, c’est justement parce qu’il est vide. La stratégie océan bleu n’est donc pas une stratégie concurrentielle, c’est plutôt une tentative d’échapper à la concurrence.
Reste cependant qu’en pratique ce n’est pas aussi évident. Le Cirque du Soleil a ainsi donné naissance à de nombreux imitateurs, comme le Rêve, Cirque Ingénieux ou Cavalia, dont certains sont issus de la troupe elle-même. De même, le positionnement du vin Yellow Tail a été copié par des concurrents comme Dancing Bull, The Little Penguin ou Mad Fish. Au total, les océans bleus restent rarement bleus et s’ils permettent de s’écarter des concurrents établis, ils ne manquent jamais d’en susciter de nouveaux. La nature a horreur du vide, surtout lorsqu’il est rentable.
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de Frédéric Fréry
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