Si vous n’avez suivi ne serait-ce qu’un seul cours de marketing dans votre vie, vous savez qu’attirer, satisfaire et fidéliser des clients est une condition indispensable à votre succès. Comme le disait le célèbre penseur du management Peter Drucker « la raison d’être d’une entreprise est de créer et de garder un client ».
Or, contrairement à ce que vous pourriez penser, cette affirmation de bon sens achoppe bien souvent sur une difficulté pratique : il n’est pas toujours évident de définir qui est le client.
Si vous travaillez dans une entreprise de BtoC, et que vos offres sont destinées à des consommateurs, vous pourriez légitimement vous dire que ce sont eux vos clients. Cependant, dans de très nombreux cas, vous vendez en fait à des distributeurs, qui à leur tour revendent vos offres aux consommateurs. Dans ces conditions, qui sont véritablement vos clients ? On peut souligner le cas particulier des médias dont le modèle économique repose sur la publicité, comme TF1 ou Google. Le client est-il l’annonceur qui paye pour que les utilisateurs voient ses campagnes, les utilisateurs eux-mêmes, voire les agences de publicité qui négocient le prix de chacun des passages ?
De même, si vous êtes dans une entreprise de BtoB, et que vous vendez à des entreprises, savez-vous vraiment définir qui est votre client ? Au sein de vos entreprises clientes coexistent en effet des prescripteurs, qui établissent le cahier des charges, des acheteurs, qui sélectionnent les fournisseurs et négocient les prix, des comptables, qui les payent (et dans quels délais), et des utilisateurs, qui s’en servent effectivement. Qui devez-vous privilégier, sachant que chacun peut avoir des objectifs et des exigences différentes ?
Cette situation est particulièrement aigüe dans l’industrie pharmaceutique. Si vous êtes un laboratoire comme Sanofi ou Pfizer, qui sont vos clients ? Les patients ? Les médecins ? Les pharmaciens ? La sécurité sociale ? Les mutuelles ? Les autorités de santé, qui valident vos produits et fixent leur prix ? L’utilisateur est ainsi différent de l’acheteur, qui est différent du prescripteur, qui est lui-même différent du payeur et distinct du régulateur. Face à une telle confusion, avec laquelle les laboratoires ont bien entendu appris à jongler, il ne faut pas trop s’étonner de l’explosion du coût de la santé.
Cependant, il existe une industrie dans laquelle la définition du client peut avoir des conséquences particulièrement délétères : c’est celle du conseil en stratégie. Certains de ces cabinets, comme McKinsey, sont fiers d’affirmer que les intérêts de leurs clients passent avant tout autre considération. Or, de quel client s’agit-il vraiment ? Des entreprises dans lesquelles les consultants interviennent, des actionnaires de ces mêmes entreprises, ou plutôt de leurs dirigeants ? Dans le premier cas, les recommandations stratégiques viseront certainement à assurer la pérennité et la prospérité de l’entreprise. Dans le deuxième cas, il s’agira plutôt de maximiser la valeur actionnariale, éventuellement aux dépens de l’investissement ou de l’emploi. Dans le troisième cas enfin, qui est loin d’être anecdotique, la mission de conseil a pour but de faire du dirigeant un héros, et de l’accompagner dans ses futures fonctions, notamment dans d’autres entreprises, où il sera le meilleur ambassadeur du cabinet. Ces consultants appliquent ainsi à la lettre le précepte de Peter Drucker : ils créent effectivement des clients, mais parfois aux dépens de l’intérêt de l’entreprise et de sa stratégie.
Au total, lorsque vous entendez le mot « client », demandez-vous de qui il s’agit et quelles en sont les conséquences. Comme toujours en stratégie, la complexité se pare bien souvent des atours de l’évidence.
Publié le jeudi 24 octobre 2024 . 3 min. 42
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