Sur les passions de l’âme, en savons-nous finalement davantage aujourd’hui, à l’heure des neurosciences et de la connaissance scientifique du cerveau, qu’aux temps de René Descartes ? Et puis sommes-nous seulement capables d’établir ces passions pour le temps présent, et celles-ci peuvent-elles nous permettre de répondre aux enjeux éthiques de notre époque ?

Philosophe de formation mais aussi magistrate à la cour des comptes, ancienne de l’ens et de l’ena, Valérie Charolles se propose en guise de manifeste de répondre à ces deux questions avec un court écrit publié chez Fayard intitulé Les qualités de l’homme. Pour cela elle commence par lister  les « passions libérées » comme l’amour et la sexualité, les  « passions récemment apparues » comme la consommation, le travail ou le sortilège de la finance, d’autres enfin qui  « disparaissent ici, s’affirment là, ou se transmutent », ainsi le sentiment religieux, la nation, l’honneur ou encore l’humilité.

A partir de ces considérations, elle interroge les neurosciences et en particulier les travaux de Damasio l’auteur de l’Erreur de Descartes qui interroge la place centrale des émotions dans la prise de décision. Il est courant de considérer aujourd’hui, notamment certaines grandes revues de recherche en éthique appliquée au monde économique, que la compréhension des mouvements du cerveau doit nous renseigner de manière définitive sur le contenu de nos désirs les plus profonds, et sur les motivations d’agir les plus ancrées dans notre nature. Or pour Charolles ce n’est pas de ce côté que nous pourrons établir une nouvelle éthique pour le monde contemporain car ces nouvelles sciences ne nous disent rien sur la vie de l’esprit en tant que telle.

 
C’est pourquoi l’auteur se tourne plutôt vers l’énonciation de cinq règles de vie concrètes, pour tenter d’établir ce qu’elle nomme un nouvel humanisme en devenir, qu’elle formule de la manière suivante : première Règle, le choix de la bienveillance plutôt que le rapport hiérarchique. Règle deux, opter pour le pluralisme qualitatif plutôt que la prétention à l’unicité. Troisième règle et quatrième règle : privilégier la révolte plutôt qu’un quelconque ordre établi, et opter pour le sentiment de liberté plutôt que pour la mécanisation de l’humanité. Enfin la réduction de la sphère du pouvoir et la reconnaissance d’autrui plutôt que son extension sous la forme actuelle des grands entreprises financières de taille mondiale.

Cette réflexion intéressera les managers qui sont en quête de sens, qui trouveront à travers ces règles proposées ici quelques orientations possibles pour l’action. Ils s’apercevront aussi, contrairement à des discours cédant un peu trop vite à leur fascination pour le développement des neurosciences contemporaines, que la connaissance du substrat biologique de nos choix moraux sont encore loin d’apporter des réponses concluantes à nos questions existentielles. Peut-être d’ailleurs cet essai doit-il nous inspirer en premier lieu une méditation éthique sur l’usage des neurosciences elles-mêmes plutôt que d’attendre d’elles des réponses aux dilemmes qui se posent parfois dans nos existences.

Au fond la première qualité de l’homme, c’est encore de se saisir par lui-même de sa responsabilité et de ses fins. « Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon » déclarait Descartes, « mais le principal est de l’appliquer bien. »