Une morale dans les affaires et une éthique dans le management

Les activités de commerce ou de logistique, les industries.. enfin tous les types d’organisations, peuvent-elles se dispenser de la référence morale ? Pendant très longtemps on a pensé que oui : prévalait comme chacun sait l’expression « les affaires sont les affaires » ou son équivalent en anglais « the business of business is business » : le business n’a rien voir avec le monde des valeurs morales, c’est même ce qui, en quelque sorte, constitue sa principale caractéristique.

Or aujourd’hui la donne a changé : les sociétés sont observées quant à la manière qu’elles ont de se comporter dans la société. Il n’est guère concevable de penser que les organisations peuvent vivre en vase clos, sans affirmer un certain nombre de valeurs ou de normes. La société dans son ensemble exige d’elles l’établissement de principes pour leur demander ensuite des comptes, si jamais ces principes ne sont pas respectés.

Mais si les activités de management n’échappent pas aux questions des valeurs, comment alors définir l’éthique managériale ? En réalité nous pourrions dire qu’elle concerne la façon de coordonner l’action et les pratiques en direction des parties prenantes qui tienne compte de l’aspect moral. En tant qu’éthique professionnelle, appliquée au management des organisations donc, il s’agit d’abord de donner un sens au mot d’organisation responsable, de décision éthique ou d’entreprise « citoyenne », bref de réfléchir sur un plan normatif au contrat moral des organisations.

Mais ne faudrait-il pas faire, pour des raisons morales justement, de l’éthique managériale autre chose qu’un simple outil de régulation, comme n’importe quel autre outil finalement, des relations avec les parties prenantes ?

Certes cet aspect est incontournable et rend compte de cette pensée calculante et opportuniste que le management est le plus souvent. Mais il y a un autre aspect qui mérite d’être considéré : l’éthique managériale se définit en opposition à une vision essentiellement mécaniste du management tournée vers le seul résultat : elle permet d’étudier comment les valeurs se forment dans les organisations, de pratiquer certains codes et d’en explorer aussi les limites, de remettre en cause les évidences, de répondre plus fondamentalement à la question du quoi et du pourquoi du management.

En conclusion, l’éthique a ceci de bon de permettre au manager de s’interroger sur sa propre pratique, en fonction de qui il est, et de ce à quoi il aspire. De faire ainsi comme l’un des premiers théoriciens du management, l’agronome Olivier de Serres, issu lui-même d’une famille qui fit fortune dans le commerce du drap, et qui rédigea un traité célèbre intitulé le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs (ancien français pour dire management). « Le fruit du bon ménage, que nous souhaitons » écrit-il dans une formule brève : « contentement avec modéré profit et honneste plaisir. »  L’auteur avait compris que ce qui guette le manager c’est toujours l’hubris, cette forme de folie des grandeurs qui était considérée comme un délit par les anciens Grecs, lesquels avaient choisi la réflexion éthique comme efficace contrepoison afin de ramener l’homme et les affaires humaines, à leur juste mesure.