Il est illusoire de vouloir rester un pays « libre » ou en tout cas le moins dépendant possible sans souveraineté économique. Il s’agit ainsi pour un pays de contrôler la production et la gestion de besoins essentiels à son bon fonctionnement en dépendant le moins possible de partenaires extérieurs. Sans une telle souveraineté, la maladie économique guette. Le Covid nous a ainsi montré l’intérêt d’une telle souveraineté même s’il est difficile d’abandonner les vieilles habitudes d’optimisation financière de la production, le marché étant libre dans bon nombre de cas.
Néanmoins, une telle souveraineté économique si elle venait à exister n’aurait aucun sens sans ce qu’on pourrait appeler la souveraineté managériale.
La souveraineté managériale peut être appréhendée à deux niveaux.
La souveraineté managériale primaire : il s’agit de la capacité des entreprises à mobiliser des ressources managériales en résonance avec l’ancrage culturel du pays. Comme le montraient les travaux de Philippe D’Iribarne, aux États-Unis, l’image idéale du contrat entre des individus « égaux » est parfaitement adaptée à la culture locale (le fameux win-win). Ainsi le management par objectif y a un terreau adéquat nonobstant le caractère purement instrumental qu’il peut revêtir. Comme le notait aussi Jacques Le Mouël, pour un américain, l’appréciation de l’atteinte des objectifs n’est ni objective ni subjective (il ne se pose pas ce type de questions), elle est juste contractuelle.
En France, il ne suffit pas de travailler pour être quitte avec le contrat, il y a aussi la manière de l’exécuter dans une relation au travail spécifique avec la fameuse « logique de l’honneur ». Cette logique de l’honneur ou la nécessité d’être traité avec égard se heurte à la dimension uniquement instrumentale du management par objectif tel qu’il est souvent mis en œuvre entrainant un conflit avec le rapport singulier du français au travail et à sa vision du vivre ensemble. C’est pourquoi savoir ce qui « anime » les gens dans une culture donnée permet de mieux penser le management et les transformations c’est-à-dire les conditions pour préserver la santé des travailleurs et les conditions d’une performance durable.
La souveraineté managériale secondaire : il s’agit de la nécessité de rompre au sein de chaque entreprise avec les fameuses « bonnes pratiques » qui n’ont rien de pratiques car elles font souvent fi du contexte d’utilisation. Dans un autre registre, on pourrait dire que l’aspirine qui soigne, c’est aussi l’aspirine qui tue. Trop de sponsors du changement et de la transformation, séduits par l’apparente facilité d’utilisation de « bonnes pratiques » livrées sur étagères et par des promesses technologiques simplistes, négligent la première condition de toute transformation réussie : la connaissance du réel. C’est en prenant appui sur la réalité du fonctionnement interne de l’entreprise – et non sur ses seules apparences visibles manifestées dans les organigrammes, les procédures officielles et les ressentis des acteurs – que l’on peut déterminer que changer et comment le faire. Ici encore la souveraineté managériale se heurte à l’abstraction et au formalisme excessifs qui entravent le nécessaire commerce avec le réel.
Face aux grandes forces « normalisatrices », les discours évangélistes des nouveaux « penseurs » des temps modernes à l’instar d’un Elon Musk, érigé par une partie de l’opinion publique comme « professeur es efficacité », la puissance technologique des outils d’IA qui ne reconnaissent ni les frontières ni les particularités sociales et sociétales, pour une nation, exister, c’est aussi être souverain dans son management.
Contrairement à la souveraineté économique qui nécessite souvent que l’Etat agisse directement sur divers champs, la souveraineté managériale passe par une meilleure éducation des managers et des travailleurs en général avec en ligne de mire une performance soutenable et productrice de santé. Le conseil en management, les universités et les écoles de commerce en seront les grands vecteurs ou les bourreaux
Publié le mardi 04 février 2025 . 4 min. 49
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