Malgré des Directions des Ressources Humaines en quête de nouvelles dénominations : « Direction des Richesses Humaines », « Direction du Capital Humain », « Direction du développement humain », « Direction du Patrimoine Humain voire des Réseaux Humains », le travail reste globalement un impensé dans la Gestion des Ressources Humaines comme l’analyse le professeur Pascal Ughetto dans un ouvrage de référence sur la gestion des ressources humaines.
En effet, aujourd’hui, malgré les discours et l’humanisme verbal affiché, la philosophie gestionnaire taylorienne n’a pas disparu mais elle se manifeste différemment. Au contrôle des corps et de la pensée dans la conception originelle du taylorisme succède un contrôle des esprits par une prescription massive de normes de conduite par l’intermédiaire de dispositifs (procédures, processus, référentiels...) avec un autocontrôle individuel et collectif assisté par les systèmes d’information.
Dès lors, une transformation managériale véritable de l’entreprise consiste à prendre le contrepied de ce qui a été fait jusqu’à présent en positionnant le travail comme l’a analysé Claude Lemoine, non plus comme une simple « obligation calculée » portée par des « ressources humaines » c’est-à-dire « un simple contrat dont on est quitte dès qu’il est rempli » avec comme pendant une vision instrumentale de ce dernier mais comme « la possibilité de réaliser son ouvrage, de marquer sa griffe, tel un artisan créateur ou constructeur d’une réalisation, et de s’approprier le fruit ou résultat de son travail ». La performance durable des entreprises nécessite de faire du travail, comme le conseille Christophe Dejours, un « instrument de plaisir et d’équilibre psychique » mais aussi un terreau de solidarités, d’apprentissages, de création de sens, de prises d’initiatives et de transformation de soi.
Une telle ambition devrait être portée par une Direction du Travail en lieu et place de la Direction des Ressources Humaines. Outre l’intitulé de la fonction qui change à dessein, la Direction du Travail permet d’acter un renouveau managérial fondé sur une vision holistique de ce qu’est le travail et l’Homme au travail car nous sommes d’accord avec Pascal Pascal Ughetto que « la gestion des ressources ne pourrait intégrer la catégorie travail qu’au prix d’une révision de la stratégie de professionnalisation de la fonction et du groupe ressources humaines ».
Une direction du travail permettrait de rompre avec une vision simpliste de l’action collective comme quête exclusive d’efficacité à court terme au prix de la destruction des collectifs de travail, du désengagement des salariés, de la prolétarisation des métiers et, in fine, d’une remise en cause de la performance à long terme.
En effet, outre la gestion des relations sociales, la Direction du Travail aura deux autres prérogatives : d’une part, instituer le sujet et le collectif de travail en lieu et place de la ressource humaine en réinterrogeant les dispositifs d’accompagnement (recrutement, formation, développement...) et en les amendant à la lumière de ce repositionnement ; d’autre part, elle devra créer les conditions de possibilité de la coopération et s’assurer que cette dernière soit effective.
La mise en place d’une Direction du Travail qui promeut la coopération dans les collectifs de travail au plus près du terrain (équipes projets, unités de production...) en favorisant les prérequis (confiance, responsabilité, subsidiarité, respect de la parole donnée...) devra s’accompagner d’une simplification des structures hiérarchiques et fonctionnelles. En effet, les tentatives vaines de mise sous contrôle de la complexité dans les entreprises ont abouti à une inflation procédurale c’est-à-dire une pression supplémentaire pour les travailleurs (reporting, demandes d’autorisation, demandes de validation etc.…).
La Direction du Travail doit donc être au cœur des enjeux de transformation car elle peut permettre de rompre avec trois mythes tenaces des entreprises modernes : le mythe du super-héros qui consiste à penser qu’une transformation ou un changement stratégique ne dépendrait que de la volonté ou de la force de conviction du chef ou du leader; le mythe d’une complexité qui serait « gérable » par le truchement des outils et des procédures et le mythe de l’outil technologique magique qui aurait la puissance de conformer la réalité.
Publié le jeudi 27 juin 2024 . 4 min. 37
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