L’énigme de l’obéissance

S’il y a une grande énigme en management, c’est celle de l’obéissance.

Nombre de managers se plaignent qu’on ne suive pas systématiquement leurs ordres ou consignes à la lettre, comme si cela allait de soi.

Pourtant, dans des sociétés démocratiques, dans un monde du travail où les travailleurs bénéficient d’autant de droits que de devoirs, ces managers devraient plutôt s’étonner d’être autant obéis ! D’autant plus qu’ils n’ont pas la science infuse et que leurs consignes prêtent souvent à critique ou à remise en cause.

C’est Etienne La Boétie qui a été le premier à analyser cette obéissance librement consentie dans son célèbre livre : « Discours de la servitude volontaire » paru en 1576.

Il cherche à répondre à la question qui hante l’Humanité : « Pourquoi obéit-on ? » en inversant les thèses classiques sur le pouvoir. Nous faisons le choix d’obéir et de nous soumettre, nous dit-il. Il suffirait de faire le choix de la liberté pour ne pas tomber sous le joug de tyran. « C’est le peuple qui consent à son mal et même le recherche »

Certes l’étymologie du mot « obéissance » nous autorise à ne pas le réduire à la seule « soumission d’une demande, d’une règle, d’une obligation, d’une personne et à l’exécution d’un ordre donné » comme le suggère le dictionnaire.

En effet, « Obéir » dérive du terme latin oboedire, qui signifie « prêter l'oreille à », il y a donc dans le fait d'obéir, l'acte d'ouïr, audire, mais aussi celui d'aller « devant », qu'indique le préfixe ob.

Ceci dit : pourquoi obéit-on si facilement quand nous avons  le choix de ne pas le faire ?

Le sociologue Christian Thuderoz nous propose plusieurs hypothèses outre l’adhésion à la décision :

- le manque d’initiative et de temps pour proposer autre chose,
- le confort de ne pas avoir à assumer de responsabilité,
- le profit personnel : quand nous avons quelque chose à tirer de l’ordre à suivre.

L’économiste Dockès reprend pour sa part l’idée d’une « convention d’obéissance » au travail et met au jour 4 explications :

- Le salarié obéit par routine (il reprend la thèse de La Boétie),
- Il mesure le coût de la désobéissance : et préfère rester en « zone d’acceptation » ou   zone d’indifférence »,
- la convention d’obéissance réduit les coûts de contrôle et donne toute son efficacité à la relation salariale (rapidité d’exécution, disponibilité),
- Chaque individu de la chaine hiérarchique se soumet parce que cela implique qu’il pourra exercer lui-même du pouvoir sur son échelon inférieur.

Le manager peut donc compter sur tous ces leviers pour obtenir de l’obéissance de ses subordonnées. C’est certes moins valorisant que de mettre en avant son leadership et sa capacité à embarquer ses équipes, mais c’est aussi moins angoissant et moins coûteux en énergie et charge mentale.