La face obscure des soft skills

« Sois plus créatif ! », « Il nous faut être audacieux !», « L’empathie est la qualité première du manager !». Qui n’a pas entendu ces injonctions dans son travail ?

Depuis quelques années, les soft skills sont massivement plébiscitées. Elles sont même devenues l’alpha et l’omega du succès dans toute évolution professionnelle.

Depuis le début des années 90, les soft skills sont le fer de lance d’une reconquête de « l’Humain au travail » avec une inscription dans le pilier social de la Responsabilité Sociétale des Organisations.

Qui peut être contre cette évolution ? Le monde du travail vient de tellement loin en la matière, ayant mis en avant un individu neutre, rationnel, sans vie personnelle, débarrassé de ses émotions dès lors qu’il franchit la porte du bureau ou de l’atelier.

Mais, avec l’Humain, il faut être précautionneux. Je vous propose d’explorer la face obscure des soft skills pour mieux leur rendre leur légitimité dans un contexte équilibré et serein.

Il existe notamment quatre risques auxquels expose une mobilisation sans précaution des soft skills.

Le premier est une injonction orwellienne

Si on regarde la « grande image » les soft skills dessinent un individu responsable de son « capital ressource », de son « employabilité », ayant envie de progresser et de « réussir sa vie », qui doit savoir sortir de sa zone de confort, être une meilleure version de soi. Somme toute, une vision très néo-libérale de l’humanité. Est-ce notre projet ?

Le second risque est le syndrome du dash shape

Avec les soft skills, on risque la survalorisation des profils de compétences dits « dash-shape » (en tiret) basés uniquement sur les compétences transversales, par opposition au I shape (compétences techniques). On risque alors de privilégier l’apparence à la compétence, ce qui peut conduire à des dégâts très importants. Il faut garder un bon équilibre entre compétences transversales et métiers : les T shape.

Le troisième risque est de pousser le curseur trop loin et de subir un effet boomerang.

Ainsi :
• L’adaptabilité peut devenir de la passivité ;
• L’empathie peut confiner à la souffrance ;
• L’audace peut conduire à une prise de risque irraisonné ;
• L’enthousiasme peut se transformer en théâtralisation ;
• La confiance en soi peut dériver vers la surconfiance ;
• La résistance au stress peut engendrer un refus d’aide ;
• Le contrôle des émotions peut inciter au retrait ;
• La curiosité peut devenir de l’intrusion.

Ce n’est pas l’idéal pour le « bien vivre » au travail !

Le quatrième risque d’une mobilisation non raisonnée des soft skills est d’actionner, mine de rien, des modalités de contrôle et d’évaluation qui sombrent dans la subjectivité. On s’installe dans le jugement et le ressenti, engendrant des effets d’assignation « Tu es trop curieux .. ; » ou « pas assez agile … », avec le risque de manipulation et d’auto-assignation, même sans volonté de nuire, mais conduisant à la perte d’estime de soi ou à l’exclusion.

La vigilance est donc de mise.

Les soft skills doivent être manipulées avec éthique et expertise pour avancer sereinement sur le chemin de leur développement.