Il y a quelques mois, j’ai échangé avec un directeur commercial à propos d’une décision très lourde qu’il avait à prendre. Il devait se défaire d’un membre de son équipe commerciale sachant que le choix devait se faire entre deux personnes. Et il ne savait pas comment arbitrer. Il me raconte.
Si ces commerciaux sont tous deux en deçà des attentes de performance, ils le sont pour des raisons complètement à l’opposé : l’un est extrêmement fiable et organisé mais très stressé et très renfermé, l’autre est très souriante, avec un excellent relationnel, mais elle est « nulle en organisation ». Sachant que la fiabilité en organisation et le relationnel sont les deux critères clés de cette fonction.
La question qui se pose alors est : "Est-il plus envisageable de former l’une à la maîtrise des méthodes, des process, à les anticiper, à les interpréter (car on ne parle pas ici de simple exécution), ou bien à développer chez l’autre l’empathie, la capacité à aller vers l’autre, à le mettre à l’aise ?".
On comprend bien que dans les deux cas, on parle de compétences, mais que les premières sont considérées comme des compétences techniques liées au métier, au secteur d’activité, aux outils informatiques (des hard skills), alors que les secondes sont décontextualisables. Ce sont des compétences transversales, c’est-à-dire des compétences intrapersonnelles (en rapport à soi) et relationnelles (en rapport aux autres), ce sont des soft skills.
Les hard skills sont objectivables, évaluables, maîtrise d’une langue, d’un logiciel par exemple, les soft skills sont livrées davantage à une appréciation subjective.
Pourtant, depuis quelques années, les soft skills s’imposent comme importantes, et même essentielles dans le recrutement et l’évolution de carrière.
Les DRH, les consultants en ressources humaines, les formateurs, les chercheurs affirment leur rôle clé avec beaucoup d’enthousiasme et de certitude, mais jusqu’à présent, sans véritables démonstrations scientifiques à la clé.
Or, le CEREQ vient de publier une étude extrêmement intéressante qui, pour la première fois apporte des éléments de preuve objective à cette hypothèse.
Il s'agit en fait de trois études, avec chacune un apport distinct à cette question de l’impact des soft skills sur une carrière professionnelle.
La première, conduite en 2020, invite 105 recruteurs professionnels à noter des CV fictifs quant à la probabilité de recevoir les candidats pour un premier entretien. On leur demande aussi de classer 10 soft skills selon l’importance dans une carrière selon eux.
Le résultat est que la compétence « travailler en équipe » augmente de 11 points l’intérêt d’un CV pour un score moyen de 67 sur 100. Viennent ensuite le dynamisme, l’organisation, le sens des responsabilités et l’innovation. A noter que l’évaluation de ces compétences restent de l’ordre du subjectif et de la représentation. Ainsi, avoir fait partie d’une association étudiante pendant ses études est perçu comme un signal positif de la maîtrise de ces compétences, sans aucune évaluation effective.
La deuxième étude de 2019, est conduite auprès de 852 diplômés de Master. On leur demande de décrire et de hiérarchiser les compétences transversales qu’ils estiment avoir acquises pendant leur formation. Ces réponses sont mises en relation avec leur situation professionnelle un an après le diplôme. L’analyse des résultats montrent qu’il y a une plus forte probabilité à être embauché en CDI (vs un CDD) quand le CV annonce que le candidat est autonome, éthique, innovant, curieux et minutieux.
La troisième enquête cherche à évaluer l’effet des soft skils sur la rémunération des diplômés, 5 ans après leur diplôme. On leur demande de s’auto-évaluer sur 5 soft skills et on met cette appréciation en relation avec leur niveau de salaire. Ceux ou celles qui se sont bien évalués (dans l’ordre d’importance) en autonomie, éthique, estime de soi, prise de risque, communication et persévérance, ont des salaires plus élevés. Les chercheurs en concluent que si le diplôme et l’expérience demeurent des signaux importants, les compétences transversales permettent d’aller vers des emplois mieux rémunérés.
Ces trois études sont limitées aux diplômés de l’enseignement supérieur mais elles sont tout à fait édifiantes et permettent d’avancer dans la démonstration de l’impact des soft skills sur une carrière professionnelle, du recrutement à son évolution.
Il reste beaucoup à faire pour avancer dans cette connaissance, d’autant plus importante que de nombreuses compétences techniques vont être prises en charge par l’Intelligence Artificielle.
Au fait, notre directeur commercial, de façon plus intuitive, mais fondée sur son expérience a décidé qu’il est plus difficile d’apprendre à sourire que d’apprendre des méthodes d’organisation ! Avantage aux soft skills.
Nous avons à écrire un nouveau livre et c’est passionnant !
Source : CEREQ Bref n°408 Julien Berthaud, « Le rôle des compétences transversales dans les trajectoires des diplômés de l’enseignement supérieur »., Juin 2021
Publié le jeudi 07 octobre 2021 . 5 min. 41
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