Nous vivons dans un monde éminemment complexe et plus les moyens de l’investiguer sont sophistiqués et puissants, plus nous percevons cette complexité.
Pour réduire cette complexité et nous aider à la penser, nous avons coutume de travailler en oppositions. Il nous est en effet plus facile de penser en noir et blanc qu’en dégradés de gris.
Nous nous installons souvent dans une logique de l’ »opposition ».
Les oppositions dessinent des limites claires, avec un dedans et un dehors, les zones grises sont celles de l’incertain, et s’y aventurer signifie prendre des risques, celui de ne plus avoir de repères, celui de nous confronter à l’ingratitude du dosage, ou encore de travailler des forces contraires qui peuvent être difficiles à maîtriser.
Citons quelques exemples : il est plus facile de penser le jour et la nuit en oubliant l’aube et le crépuscule. La globalisation et la localisation en oubliant les zones géographiques intermédiaires. Les gentils et les méchants pour ne pas avoir à affiner un jugement qui pourrait nous plonger dans le doute. La droite et la gauche en politique pour éviter un centre jugé comme « mou » ….
Devant les limites de l’opposition, Michel Fiol explique qu’il existe une autre logique mentale : celle du « continuum » ou du « curseur », qui consistent toutess deux à aller d’un extrême à l’autre, en passant par un point neutre. On va ainsi du noir au blanc, du pour ou contre, avec des degrés successifs. Ce sont par exemple les échelles sémantiques dans les enquêtes d’opinion : « Etes vous d’accord avec cette assertion ? » « Tout à fait », « plutôt oui », « ni oui ni non », « plutôt non », « pas du tout ».
Ces deux logiques de l’opposition et du curseur restent dans le même paradigme : celui qu’on ne peut concilier l’inconciliable. On reste dans l’idée que les oppositions s’opposent, c’est-à-dire que si on aime « tout à fait » un service ou un emploi, on ne peut pas : ne « pas du tout » l’aimer …. Ou alors qu’il faut faire des compromis.
Or, dans la vraie vie, nous sommes souvent dans le paradoxe ou l’ambigüité. Nous aimons ET nous détestons, nous voulons le noir ET le blanc, nous nous sentons heureux ET malheureux à la fois. Nous ne sommes pas dans la zone grise, nous sommes ou nous ressentons deux choses à la fois. Il y a des contraires, qui se bousculent sans que nous puissions arbitrer. Nous ne sommes pas ici dans la situation du dilemme qui implique le choix et donc l’abandon, nous ne sommes pas non plus dans l’ambigüité qui, elle, n’exige pas l’arbitrage et permet de rester dans l’indécidable. Nous sommes dans ce que Morin a nommé la « dialogique », c’est-à-dire l’articulation des contraires.
Comme le disait Jung : « Chaque extrême psychologique contient en secret son contraire ou s’y rattache par une relation intime et essentielle ».
Il est vraiment intéressant de sortir de la logique de l’opposition, comme de celle du continuum qui nous amènent au conflit, à l’exclusion ou au compromis, à la demi-mesure, pour entrer dans celle de « l’extenseur » comme la nomme Michel Fiol.
L’extenseur : cet instrument qui n’existe que lorsqu’on tire sur les deux bouts à la fois. Et, plus on tire, plus il est efficace.
Cette logique amène à penser que les contraires se renforcent et à œuvrer pour qu’ils le fassent.
Quelques illustrations :
Travailler avec des gens ayant des visions radicalement opposées peut apporter la créativité et non un consensus mou.
Se dire qu’on peut être très seul et très entouré à la fois n’est plus aberrant avec les réseaux sociaux.
Vouloir l’authenticité en réclamant aussi la technologie la plus sophistiquée permet de proposer des produits alimentaires de qualité mais avec une grande sureté.
Etre global et local à la fois, c’est vendre du fromage ou du vin produits au sein de propriétés confidentielles au monde entier.
On comprend aussi qu’on peut assimiler et exclure à la fois, ce qui est le cas des étrangers dans l’organisation.
Avec la logique de l’extenseur, la force vient de celle de deux oppositions : j’aime ET je déteste à la fois : n’est-ce pas un des sentiments les plus partagés et qui conduit à l’attachement le plus pérenne ?
On sort du compromis pour aller vers la controverse apprenante, on quitte la demi-mesure pour l’étincelle des contraires. Bref : on mobilise des forces opposées pour avancer et innover !
Référence : Fiol M. (2003), Les contradictions inhérentes au management. De la logique du curseur à celle de l’extenseur, in Moingeon B. (Ed), Peut-on former les dirigeants ? L’apport de la recherché, L’Harmattan, Paris, pp. 231-267.
Publié le jeudi 13 juillet 2017 . 4 min. 37
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