Sur fond de chute du mur de Berlin et de globalisation des marchés dans les années 1990 et 2000, la stratégie a semblé connaître sa propre fin de l'histoire telle que prédite par Francis Fukuyama : pour allouer les ressources, entre des marchés financiers réputés efficients d'un côté et des directions générales peuplées de dirigeants potentiellement obsédés par leur seul enracinement de l'autre, la messe était dite.
On a ainsi insuffisamment tiré les leçons que la financiarisation des stratégies des entreprises cotées sont des ressorts majeures. D'abord, l'allègement des actifs dans les bilans des sociétés par externalisations massives - l'exemple fameux étant Alcatel, devenue entreprise sans usines sous la conduite du général Tchuruk. Ensuite, la restructuration des passifs, par recours à l'endettement et à l'effet de levier, en vue de maximiser la rentabilité des capitaux propres et de délivrer les fameux taux de rentabilité sur capitaux investis attendus bien qu'insoutenables - les fameux 15 % de ROE. Enfin, sur fond d'un très actif marché des prises de contrôle dopé par les banques d'affaires, les politiques de "buy-backs", de rachat d'actions, sont devenues la norme dans le cadre de stratégies de survalorisation boursière devenues, pour filer le titre d'un article de The Economist, la "cocaïne du corporate".
Ces phénomènes, conjugués de manière cohérente, ont été le bras stratégique armé de la financiarisation des stratégies, c'est-à-dire du recentrage massif des grandes entreprises sur leur cœur de métiers, sur leur fameux cœur de compétences.
Moyennant forte rémunération, les dirigeants ont accepté de céder leur place pour devenir de simples exécutants zélés, n'administrant plus qu'une participation parmi n dans les portefeuilles de fonds d'investissement.
Les spin offs et autres ventes à la découpe d'anciens conglomérats se sont alors multipliées. Et, en synthèse, le fameux « nous ne conserverons que les activités n°1 ou n°2 mondiales » s'est imposé stratégie industrielle unique.
Valable dans un contexte d'industries aux frontières claires et dans un monde de forte croissance lié notamment à la constitution de demandes nouvelles dans des marchés émergents, un tel raisonnement financier est cependant inadéquat lorsque la croissance mondiale ralentit voire devient nulle. Il est même extraordinairement dangereux quand les frontières entre industries vacillent et que nombre d'entreprises voient leurs marges s'effondrer sous le poids des transformations technologiques.
Dans ce cas, les recentrages sur le cœur de métiers passés deviennent de redoutables sources d'inerties et d'une dépendance à un sentier stratégique unique dont il est extraordinairement difficile de s'extraire.
"Indignez-vous !", prônait Stéphane Hessel dans un petit ouvrage devenu best-seller mondial. Appliquée à la politique générale d'entreprise et au management stratégique, l'injonction est la suivante : "Diversifiez-vous !"
Publié le jeudi 20 novembre 2014 . 3 min. 29
Les dernières vidéos
Stratégie
Les dernières vidéos
de Jean-Philippe Denis
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES