Pour expliquer l’effondrement de Nokia dans la téléphonie mobile, on évoque souvent l’arrogance de l’entreprise finlandaise. Trop sûrs d’eux, les dirigeants de Nokia auraient sous-estimé la menace que représentait l’iPhone.
D’après une étude menée par Timo Vuori et Quy Huy, la réalité est un peu différente. Les dirigeants de Nokia étaient parfaitement conscients des menaces qui pesaient sur leur entreprise. Comme l’a raconté l’un d’entre eux : « Lorsque j’ai entendu parler de l’iPhone pour la première fois (à l’automne 2005), je me suis renseigné sur son système d’exploitation. Quand j’ai compris qu’il s’agissait d’iOS, j’en ai eu la chair de poule … Cela signifiait que l’iPhone serait une extension du Mac … » Plus que l’arrogance, il semble que la peur ait précipité la chute de Nokia …
Pour rattraper le retard par rapport à Apple, les dirigeants de Nokia ont mis une pression terrible sur leurs collaborateurs. Par peur de se faire licencier (ou simplement de perdre la face par rapport à leurs collègues), les managers se sont pliés à toutes les demandes des dirigeants … tout en sachant qu’ils ne parviendraient pas à y répondre. Comme l’a raconté l’un d’entre eux : « Je me souviens d’une réunion où on nous avait fixé une deadline délirante … J’ai voulu prendre la parole pour dire qu’il était impossible de tenir les délais mais la perspective de m’opposer aux dirigeants m’a fait paniquer. Finalement, je n’ai rien dit. »
Comme les dirigeants de Nokia manquaient cruellement de compétences technologiques, ils n’ont pas vu que les managers les menaient en bateau. Persuadés de toucher au but, ils ont accru la pression … et l’entreprise a fini par s’effondrer. En 2012, Microsoft absorbe une entreprise qui a perdu 90% de sa valeur boursière en six ans.
Quelles leçons peut-on tirer de cette histoire ? Essentiellement qu’il ne faut pas oublier le rôle joué par la peur dans les entreprises. La peur des dirigeants vient souvent de l’extérieur (intensité de la concurrence, pression des marchés financiers …). La peur des managers provient plutôt de l’intérieur de l’entreprise (dirigeants caractériels, sanctions lorsque les objectifs ne sont pas atteints …). On ne connait encore pas tous les détails sur l’affaire du « dieselgate » … mais il est probable que les mécanismes à l’œuvre chez Nokia l’aient également été chez Volkswagen.
Source : Vuori, T., & Huy, Q. (2015), “Distributed attention and shared emotions in the innovation process: How Nokia lost the smartphone battle”, Administrative Science Quarterly, 61, 9-51.
Publié le lundi 17 octobre 2016 . 2 min. 38
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