Le thème de la destruction créatrice est très à la mode en ces temps d’innovation accélérée. Dans l’air du temps, au point d’être utilisé à tous vents, à tort et à travers. Son auteur, Joseph Schumpeter, doit sans doute se retourner dans sa tombe.
Dans la conception de cet économiste du début du siècle dernier, c’est l’entrepreneur qui est au centre de la dynamique. Un entrepreneur qu’il ne faut pas confondre avec le chef d’entreprise, qui est un simple gestionnaire. Non l’entrepreneur Schumpeterien est un aventurier qui veut changer les règles du jeu à son avantage, en provoquant des ruptures, qu’elles soient technologiques, productives, commerciales ou organisationnelles. C’est un révolutionnaire qui veut tenter de bouleverser son marché, et balayer les forces en présence. On pense bien sûr à Steve Jobs avec son iPod puis son iPhone ou à Jeff Bezos qui a commencé par inventer la librairie et le disquaire en ligne, balayant les acteurs en place. D’ailleurs, on voit bien à travers ces exemples, qu’il vaudrait mieux parler de « création destructrice » pour traduire rigoureusement la pensée de Joseph Schumpeter en français. Il faut se souvenir de l’invention de l’appareil photo numérique qui a détruit la technologie argentique et entraîné son titan, Kodak, dans les abîmes.
Nul doute, nous vivons une période d’innovations majeures et massives. Les progrès liés aux développements de l’électronique, de l’informatique et d’internet se sont traduits par la révolution digitale, que je préfère appeler transition iconomique. Tout est bouleversé sous nos yeux par ces entrepreneurs-innovateurs : les produits et services, leurs usages, leur fabrication, les business models. Il ne faut pas penser seulement à tous ces objets connectés qui envahissent notre vie courante, mais aussi aux chaînes de valeur mondiales pilotées par internet, aux flux logistiques régulés par l’informatique, aux traitements gigantesques de données, le fameux big data, aux plateformes internet en tous genres. Des pans entiers de l’activité ont aussi basculé en quelques années dans les marchés à double face qui entremêlent gratuit et payant, dans l’économie collaborative, sans oublier l’uberisation massive d’un nombre croissant de marchés.
Ce qui pousse ces entrepreneurs à prendre des risques et à innover, c’est bien sûr un goût inné de la transgression de l’ordre établi et de l’aventure. Mais cela exige la mise en œuvre d’un avantage concurrentiel décisif. C’est ce que Schumpeter appelle « rente entrepreneuriale ». Mais attention, cet atout décisif peut n’être que transitoire. Tout simplement parce que l’imitation guette : attirés par la rente entrepreneuriale, les concurrents cherchent par tous les moyens à rattraper leur retard pour obtenir eux aussi leur part du gâteau. Ainsi, il est bien loin le temps où Deezer était pionnier du streaming musical légal en France. Il a depuis été rejoint par un grand nombre d’opérateurs tels Spotify, Tidal, Qobuz, Fnac Jukebox, et autres Apple Music. Et le moins que l’on puisse dire c’est que tous se livrent une concurrence acharnée, d’autant plus que ces modèles fonctionnent pour une large part à coûts fixe : en conséquence, seule une poignée de sociétés survivront à terme, car dans beaucoup de domaines, soit le leader prend presque tout (« the winner takes all »), soit l’euphorie passée, l’innovateur va devoir partager la rente entrepreneuriale avec ses imitateurs…et parfois disparaître. Cette période de transition iconomique est vraiment sans pitié !
Publié le mardi 03 mai 2016 . 4 min. 11
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