La désagrégation du monde par la guerre des élites

Quand les élites se multiplient sans que le pouvoir parvienne à les réguler, les fondations des sociétés s’effondrent. L’Occident, et la France en particulier, semblent pris dans cette dynamique : les ultra-riches s’arrogent toujours plus d’influence, les surdiplômés s’affrontent pour des places qui se raréfient, et les inégalités sociales explosent. Ce déséquilibre nourrit tensions, frustrations et dérives populistes.

Dans Le Chaos qui vient, Peter Turchin, anthropologue et théoricien des cycles historiques, propose un décryptage des ressorts de cette crise. Il identifie un schéma universel : surproduction des élites, paupérisation des masses et effondrement de l’État. Ces forces, à l’œuvre aujourd’hui, rappellent des époques troubles où les excès des élites ont nourri les révolutions. De Robespierre à Lénine, Staline, et Hitler, les contre-élites ont toujours pris racine dans ce chaos pour renverser l’ordre établi.
Trop d’élites, pas assez de pouvoir : la guerre des sommets.

Résumons la thèse de Turchin. L’explosion du nombre de riches et d’hyper-riches a transformé la lutte pour les sommets en une véritable guerre des tranchées. Les ultra-riches ne se contentent plus de leur richesse : ils achètent des médias, financent des mouvements politiques et s’arrogent un pouvoir d’influence sans précédent. Certains sont désormais plus puissants que les Etats.

Une compétition féroce

Ce phénomène, amplifié par un afflux incessant de diplômés qui aspirent à rejoindre leurs rangs, crée une compétition féroce. Mais tous ne peuvent accéder au sommet. Ainsi se forment des élites frustrées et marginalisées, prêtes à tout pour renverser l’ordre établi. La société contemporaine illustre cette dynamique : les ambitions flambent, mais les opportunités stagnent. Résultat ? Une fracture au sommet qui nourrit les dérives populistes avec son lot de mensonges et de démagogie.

Les classes populaires : oubliées mais dangereuses.

Pendant que les élites s’affrontent, les classes populaires se sentent appauvries et méprisées, Elles bouillonnent de frustration. La "pompe à richesse" décrite par Turchin a exacerbé les inégalités, captant les fruits de la croissance pour les riches et les ultra-riches. Pendant ce temps, les salaires stagnent, les perspectives se réduisent, et la colère se propage. Lorsque cette colère trouve des leaders politiques populistes et démagogiques, elle devient explosive, remettant en question les fondations mêmes du système.

L’État : victime ou coupable ?

La légitimité des institutions est le ciment des sociétés stables. Pourtant, un État perçu comme  inefficace ou soumis aux intérêts des élites alimente la défiance. Les démocraties contemporaines se transforment alors en arènes où les idéologies et les intérêts particuliers s’entrechoquent. Les Etats deviennent alors incapables de rééquilibrer les richesses, de contenir les excès des ultra-riches, d’endiguer la lutte des places des surdiplômés, et les rivalités des élites politiques.
Le chaos est une construction humaine.

L’inflation des élites, la polarisation idéologique et le déclassement relatif des masses sont autant de défis que nous avons sans doute trop longtemps laissé prospérer. Une thèse qui mérite réflexion. Toute ressemblance avec la situation américaine ou française est bien entendu… fortuite.

Annexe des sources :
• Turchin, Peter. Le Chaos qui vient. Élite, contre-élite et désintégration politique. Le Cherche Midi, 2024.