Le Grand Chef, que l’on désigne par son prénom évidemment, doit statistiquement s’entretenir avec plus d’une centaine de personnes par jour. Entre ceux qui ont vraiment discuté avec lui ou elle, les entretiens inventés, s’appuyant simplement sur des articles de la communication interne, et le pur mensonge, nombreux sont les confidents du Chef.
Ces références à l’autorité, habituelles dans les grandes entreprises, là où leur vérification est pratiquement impossible, marque la fin du débat. Quelle est l’utilité de l’avis des experts des marchés, des responsables marketing, des commerciaux de terrain, si la volonté supposée du chef, même inexistante, s’impose. Que faire si tous les éléments rationnels dont on dispose montrent que cette décision induite par la supposée parole du chef n’est pas la bonne. Ma parole risque de contrarier aujourd’hui, mon silence, risque d’être coupable demain, menacé si je me tais et alerté si je parle.
Cette science du mensonge a ses lois
Loi 1 : la parole rapportée au nom du chef s’adresse aux collatéraux et subordonnés, donc en l’absence de lien hiérarchique de subordination du rapporteur.
Loi 2 : En présence d’un supérieur hiérarchique, cette parole ne doit jamais être rapportée car elle est source de suspicion de loyauté envers son chef direct ou risque d’être violemment démentie par ce dernier
Loi 3 : En cas d’interférence entre les lois 1 et 2, le silence est de rigueur et le changement de sujet la règle. Le temps et l’oubli effectueront le travail.
Certes reste l’esquive shakespearienne : « Tomorrow and Tomorrow and Tomorrow », la procrastination de la décision, en espérant que le ciel aidera par l’oubli, ou que, des changements de structure dans l’entreprise feront que cette décision-là se perdra dans les oubliettes de la réalisation et du suivi. Mais si l’on est formé à l’honnêteté, à la rigueur, à la sincérité, cet état immédiat est difficile à vivre.
Voici alors quelques propositions respiratoires simples pour ne pas agoniser. On peut brouiller les mots dans la première méthode et brouiller les personnes dans la seconde.
• Celle qui a ma préférence est d’utiliser la technique des binômes flous, qui est développées dans une intervention antérieure. Ce déplacement consiste à intervenir sur un terme différent mais connexe au thème principal. Par exemple le binôme décision application. Si les décisions vous semblent erronées, et si vous n’êtes pas en position d’autorité, déplacez aisément le débat sur les étapes d’application. Il est possible qu’alors on se rende compte de l’erreur, compte tenu des conditions pratiques. Un autre binôme peut être urgence et compréhension : si la décision doit être appliquée de façon urgente, déplacez le débat sur la bonne compréhension des personnels impliqués, on se rendra peut-être compte qu’il faut un temps intermédiaire de formation d’une partie des personnels. Cette solution vous permet de paraître comme engagé, réaliste, et même parfois intelligent alors que vous venez simplement de saboter le processus préjudiciable.
• Une deuxième méthode consiste à questionner autour de soi sur le mode : que comprenez-vous de la façon d’appliquer cette décision ? Puis de faire une synthèse qui sera souvent l’expression d’un chaos, dès lors l’engagement collectif s’imposera et vous soutiendra
N’agissez pas en frontal, vous feriez exploser votre propre véhicule, sauf si vous disposez d’une vraie botte secrète, la seule, si le chef vous a effectivement parlé différemment de la question, et si cette intimité ne vous nuit pas.
Ne fermez jamais les yeux face à la raison bafouée mais faites appel au déplacement de sens par la méthode des binômes flous, ou à la collectivisation ou consultation collective ou co-construction par le partage des points de vue. Isolez le mot erroné ou le bluffeur sans y toucher. Mais il est aussi possible que le chef se trompe…
Publié le vendredi 11 octobre 2024 . 5 min. 19
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