"Les barrières à l'entrée sont les pierres angulaires de la structure des marchés," soulignait l'économiste américain F.M. Scherer dans Industrial Market Structure and Economic Performance, un livre fondateur publié en 1970, à la grande époque des lois anti-trusts. Pourtant, ces mêmes barrières, censées protéger les entreprises établies, se révèlent souvent être de nos jours de simples obstacles temporaires pour les plus innovants. Les grandes entreprises se cachent derrière ces remparts, mais dans un marché globalisé et numérique, les nouveaux entrants savent que ces barrières sont faites pour être contournées.
Michael Porter a fait des barrières à l’entrée la pierre angulaire de sa réflexion dans les années 80 avec son modèle des cinq forces de la concurrence. Mais des auteurs récents comme Rita Gunther McGrath, professeur à Columbia), soutiennent dans The End of Competitive Advantage paru en 2013 que l’idée même d’avantage compétitif durable est dépassée. Selon McGrath, dans un monde hyperconnecté, nombre de barrières à l’entrée s’effondrent plus rapidement qu'elles ne se construisent. Le cas de BlaBlaCar illustre cette thèse. Le géant du covoiturage a réussi à percer dans un marché saturé par les infrastructures de transport traditionnelles et régulées. Avec un modèle de marché collaboratif, BlaBlaCar a contourné les barrières financières et réglementaires que les acteurs historiques pensaient être infranchissables.
De même, Clayton Christensen a popularisé le concept d'innovation disruptive dans The Innovator's Dilemma (1997), en montrant comment les petites entreprises attaquent les leaders de marché en contournant les barrières par des solutions radicalement nouvelles. Cette approche semble plus pertinente aujourd'hui. Prenons Lydia, l'application française de paiement mobile. Alors que les grandes banques renforçaient les barrières technologiques et réglementaires autour des services bancaires, Lydia a introduit un service simple, rapide et accessible, attirant des millions d'utilisateurs et devenant un acteur clé du marché français des paiements numériques. Lydia a prouvé que l’innovation peut ignorer ces barrières, en s’adaptant plus vite que les géants du secteur.
L’agilité mise en œuvre dans un nombre croissant d’entreprises face aux incertitudes du marché devient d’ailleurs un nouvel avantage. Dans cette logique, des entreprises comme Doctolib, le service de rendez-vous médicaux en ligne, ont radicalement transformé le secteur de la santé en France. Plutôt que de se heurter aux lourdes structures hospitalières et aux cabinets médicaux traditionnels, Doctolib a créé une interface fluide qui a réinventé le modèle d'interaction entre patients et praticiens. Doctolib montre comment une approche agile et numérique peut submerger des barrières ancrées dans des pratiques obsolètes. C’est ce qu’a bien montré Geoffrey Parker dans son livre, Platform Revolution.
En vérité, les barrières à l’entrée ne sont plus des forteresses inattaquables, elles sont des défis de créativité pour des start-up agiles et innovantes. Les récents exemples français le prouvent : l’innovation est toujours plus rapide que la régulation. Finalement, les barrières à l’entrée existent pour que les visionnaires tentent de les démolir. Et certains y parviennent.
Annexe des sources :
1. F.M. Scherer, Industrial Market Structure and Economic Performance (1970).
2. Rita Gunther McGrath, The end of competitive advantage: how to keep your strategy moving as fast as tour business (2013).
3. Clayton Christensen, the innovator's dilemma: when new technologies cause great firms to fail (1997).
4. Geoffrey G. Parker, platform revolution: how networked markets are transforming the economy--and how to make them work for you (2016).
Publié le mercredi 06 novembre 2024 . 3 min. 33
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