Selon le célèbre Mickaël Porter de la Harvard Business School, qui s’est lui-même inspiré des travaux d’économie industrielle antérieurs, un objectif majeur de la stratégie d’entreprise est d’améliorer ou défendre la rentabilité de l’entreprise. Sous cet angle, il est indispensable d’établir des rapports de forces favorables vis-à-vis de ses concurrents, mais aussi de ses clients, de ses fournisseurs, ou encore de potentiels entrants. Ce sont ces rapports de forces qui vont lui permettre de capturer de la valeur et améliorer ses marges. Si de tels rapports de forces ne se décrètent pas et se construisent plutôt chemin faisant, on peut néanmoins évoquer cinq facteurs cruciaux en la matière.
Le 1er réside dans la capacité de l’entreprise à avoir un comportement distinctif de celui de ses concurrents. En effet, si elle dispose d’un savoir-faire unique et incontournable, elle a toutes les chances d’être en position de force. Prenons le cas de l’industrie aéronautique : l’essentiel de la valeur y est aujourd’hui capturée par un petit nombre d’équipementiers de 1er rang comme Safran, Honeywell ou encore le conglomérat américain UTC à la tête de Pratt & Whitney et Collins Aerospace. Des équipementiers qui disposent de compétences rares sur des composants essentiels de l’avion : propulsion, génération électrique, avionique, sièges, et j’en passe.
Le 2e critère renforce le précédent : il s’agit du lien qualitatif entre le produit fini et ses composants. Ce que je veux dire c’est que si la qualité de l’offre est déterminante pour le client final, alors certains fournisseurs se retrouvent en position de force. À condition bien sûr de disposer d’une avance technologique et plus généralement de ressources ou compétences distinctives et uniques. Dans la filière du luxe ou dans certains domaines émergents comme l’intelligence artificielle, il n’est pas rare que des fournisseurs de petite taille ou des start-up parviennent à imposer leurs conditions à de grands groupes du fait d’un savoir-faire, d’une technologie ou d’une expertise très spécifique qui les rendent incontournables.
Les écarts de concentration entre les différents maillons d’une filière jouent également sur les rapports de force. Pensez à la grande distribution : vous avez là un petit nombre d’acteurs quasi-incontournables en aval qui peuvent imposer des conditions tarifaires très contraignantes en faisant jouer la concurrence entre producteurs. À moins bien sûr que ces producteurs disposent de marques incontournables.
Un 4e critère consiste à faire planer la menace d’une intégration verticale sur les fournisseurs ou distributeurs. Hé oui, une organisation dispose sans aucun doute d’un rapport de forces favorable vis-à-vis de ses concurrents si elle envoie des signaux montrant sa capacité à absorber à brève échéance ses partenaires. Bien sûr, cette menace est parfois mise à exécution comme dans l’aéronautique où Airbus a racheté plusieurs de ses fournisseurs face à la montée en puissance des équipementiers de rang 1 comme nous l’avons vu précédemment.
Le 5e et dernier critère repose sur l’établissement de coûts de transfert ou switching costs en anglais. Le principe est simple : plus il est coûteux ou risqué pour les partenaires et clients d’une entreprise de renoncer à ses services, plus le rapport de force s’établit à son avantage. Une problématique bien maîtrisée par les entreprises de l’univers IT, notamment par les éditeurs de logiciel et en particulier Microsoft. On peut également citer les plateformes de streaming qui utilisent les playlists personnelles pour retenir des clients toujours très attachés à leurs habitudes. A contrario, les opérateurs télécoms ont vu leurs coûts de transfert se réduire avec l’obligation de portabilité du numéro de téléphone mais aussi parce que dorénavant les concurrents remboursent très souvent les frais de résiliation pour attirer de nouveaux clients.
Loin d’être exhaustifs, ces leviers de rééquilibrage des rapports de force d’une entreprise vis-à-vis de son environnement doivent aussi être combinés pour donner leur pleine mesure. Mais à trop vouloir capturer la valeur, l’entreprise risque aussi de déclencher une guerre sans merci avec ses partenaires à l’issue fatale, de dégrader son image vis-à-vis de ses clients et de détériorer ses relations avec les pouvoirs publics, les ONG voire même avec ses actionnaires. Des courants de pensée tentent à ce titre de faire converger les logiques économiques et financières et les logiques sociétales et environnementales. Elles promeuvent l’éthique des affaires et esquissent de nouvelles formes de création de valeur moins associées aux conflits et aux rapports de force.
Publié le mardi 2 avril 2019 . 4 min. 47
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