Comprendre : le modèle de Porter est dépassé !
Publié le lundi 2 mars 2020 . 4 min. 13
Conçu à la fin des années 70, le modèle des 5 forces est-il toujours pertinent pour analyser l’environnement concurrentiel d’une entreprise ? La question se pose car nos économies se sont terriblement transformées depuis : plus fragmentées, plus globales ou régionales, certaines chaines de valeur se sont également recomposées avec l’irruption des technologies numériques. Les modèles de revenus, eux, se sont complexifiés avec par exemple l’essor de la location dans l’automobile ou la consommation de services à la demande. Les taux zéro et l’abondance d’épargne dans le monde autorisent maintenant la survivance de modèles d’affaires non-rentables ou seulement à très long terme. Sans oublier l’impact de la transition écologique sur les stratégies des entreprises et leur gouvernance...
Revenons ici sur quatre précautions à prendre si vous utilisez cet outil.
Première réserve : le modèle des cinq forces présente un paradigme quasi-exclusivement concurrentiel où le gain de l’entreprise se fait au détriment des autres parties prenantes. C’est une vision très réductrice de la structure des marchés. Et d’autres approches offrent une vision plus large. Citons le modèle relationnel développé par Dyer et Singh qui établit un lien entre surprofit et rente relationnelle. Citons également le modèle coopétitif de Nalebuff et Brandenburger qui, partant de la théorie des jeux, montre que des bénéfices encore supérieurs peuvent être atteints par des comportements à la fois coopératifs et concurrentiels.
Deuxième réserve : le modèle de Porter est largement centré sur l’environnement de l’entreprise. C’est un point de départ pertinent mais qui s’avère aussi insuffisant. La théorie du management par les ressources ou Resource Based-View formule une alternative intéressante partant de l’entreprise même, et en particulier des ressources dont elle dispose. Ces ressources peuvent être le véritable point de départ de la création de l’avantage concurrentiel à condition qu’elles soient hétérogènes et difficilement mobiles. Autre approche, celle de la stratégie « Océan bleu » qui vise précisément à échapper aux forces concurrentielles existantes en formulant une offre totalement inédite.
Troisième réserve : le modèle de Porter consacre la notion d’industry en anglais, traduit en général par secteur d’activité en français. Le problème c’est qu’elle est un peu trop restrictive. Porter définissait l’industry comme un ensemble de concurrents produisant des substituts si proches que l’action d’une entreprise avait nécessairement un impact sur les autres. Or, on constate aujourd’hui, notamment du fait de la transition numérique, que de nombreux marchés autrefois éloignés sont aujourd’hui bien plus proches les uns des autres. Le concurrent n’est peut-être plus forcément une entreprise qui apparaîtrait dans les forces de Porter mais un acteur venu d’ailleurs, d’une autre « industrie ». D’autres modes de représentation de l’environnement de l’entreprise, comme les écosystèmes d’affaires, permettent d’inclure un périmètre d’analyse bien plus large.
Dernière réserve enfin : la création de valeur chez Porter est un peu datée. Elle se fait strictement au niveau du domaine d’activité stratégique et la valeur apparait comme un élément rigide, largement tournée vers l’actionnaire. En réalité, les ruptures de marché montrent bien que cette notion est polysémique (la valeur pour l’actionnaire n’est pas la valeur du point de vue du client), qu’elle est mobile et que tous les efforts déployés pour capturer la valeur peuvent être invalidés par une migration soudaine. De la même manière, même les éléments les plus critiques de la chaîne de valeur sont souvent le fait aujourd’hui de partenariats entre concurrents ou entreprises d’horizons différents, contribuant encore davantage à brouiller les frontières de l’entreprise.
On l’aura compris, cet outil s’accorde de plus en plus mal avec le paradigme économique et concurrentiel actuel, un paradigme marqué par la complexité, l’incertitude, la volatilité et l’ambiguïté de certains modèles économiques.
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