Dans tous les séminaires de formation au management, une doctrine s’est imposée : celle de la maîtrise émotionnelle. Tous insistent sur l’importance de rester calme, zen, de rationaliser la situation, et de ne rien laisser transparaître de nos émotions, en particulier la colère. Cette bien-pensance managériale s’est imposée comme un dogme. Et pourtant, à force de vouloir tout maîtriser, de se maîtriser, on risque d’étouffer une énergie vitale et tomber dans le piège d’une forme d’impuissance auto-destructrice.
La maîtrise émotionnelle est de fait un piège insidieux. L'idée que la maîtrise totale de soi est un impératif n’est pas sans dangers psychologiques, mais aussi créatifs et opérationnels. En réprimant systématiquement la colère, on risque de créer des tensions internes, une fatigue psychologique et une déconnexion émotionnelle. Thich Nhat Hanh, un moine bouddhiste et auteur de Anger: Wisdom for cooling the flames, nous avertit : "Si elle est mal canalisée, la colère peut causer des ravages. Mais, maîtrisée et redirigée, elle devient une force créatrice." En somme, cette quête de la maîtrise parfaite devient une prison, réduisant l'authenticité et l'énergie créative de l'individu.
À l’opposé de cette vision, la vie des entreprises révèle comment la colère, lorsqu’elle est bien canalisée, peut devenir un levier d’innovation. Ainsi, Xavier Niel, fondateur de Free, a utilisé sa frustration contre les monopoles des télécoms comme une force motrice pour révolutionner le secteur. Sa colère l’a poussé à agir, à transformer son irritation en une énergie créatrice. De même, se taire ou aseptiser sa communication pour sauver la face devant l’adversité, qu’il s’agisse d’un subordonné ou d’un supérieur hiérarchique, c’est renoncer à une part essentielle de soi. Le silence peut-être autodestructeur.
La répression émotionnelle peut de fait se traduire par de lourds dégâts. Un article de la Harvard Business Review coécrit par Heike Bruch, psychologue et professeure à l’Université de Saint-Gall, souligne que "les leaders qui réussissent ne sont pas ceux qui évitent la pression, mais ceux qui l’utilisent comme un levier." La répression constante des émotions, en particulier de la colère, conduit à une stagnation, voire à une régression. L’individu qui cherche à tout maîtriser finit par perdre son dynamisme et son audace. La maîtrise de soi, poussée à l’extrême, détruit la créativité et la motivation.
Il faut sans doute en finir avec la maîtrise émotionnelle en tant que dogme managérial. Étouffer sa colère, c’est trahir sa propre vérité, c’est se museler pour mieux se conformer à un idéal aseptisé autodestructeur. En se privant volontairement de cette énergie brute et naturelle, on peut s’enfermer dans une médiocrité complaisante. Certaines émotions qualifiées de négatives sont aussi source d’énergie, de solutions, d’innovations, voire de vérités. Il faut revoir le film de Sidney Lumet, Douze hommes en colère, sorti en 1957. Au début, un seul juré, joué par Henri Fonda, s’était révolté. Ce sont ses doutes et sa colère qui ont permis de convaincre les 11 autres de la vérité.
Publié le jeudi 26 septembre 2024 . 3 min. 48
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