Les DRH s’étonnent parfois de voir à quel point les jeunes collaborateurs, pourtant saturés d’heures en salle de classe depuis leur enfance, pensent qu’il n’est de formation que quand un formateur patenté s’occupe d’eux pour dispenser ses savoirs, idéalement hors les murs de l’entreprise, c’est-à-dire hors la pression du travail quotidien.
Pourtant, on le sait, la réalité de l’apprentissage de savoir et savoir-faire nouveaux et, plus en encore, de savoir-être, passe moins par la salle de classe, fut-elle professionnelle, que par l’action menée en commun, par la construction de solutions élaborées ensemble face à un problème rencontré dans le cours de l’action, par l’ajustement des comportements en se conformant à l’attitude des plus expérimentés.
En un mot, pour améliorer la transmission de connaissances et de compétences, ne conviendrait-il pas de préférer le compagnonnage à la formation formelle ?
Le sujet n’est pas nouveau. La question de la transmission traverse l’histoire de l’humanité.
Les tenants de la formation formelle voient dans la formalisation, c’est-à-dire dans la conceptualisation et la théorisation, la capacité à produire et à transmettre un corpus de connaissances génériques autrement plus précieuses qu’un ensemble de récits d’expériences racontés par des anciens combattants, incapables de faire autre chose que de raconter encore et toujours leurs mêmes guerres aux jeunes générations. Et la formation formelle permet un transfert autrement plus condensé que l’apprentissage sur le tas, lequel a besoin de beaucoup de temps pour offrir un ensemble d’expériences, vécues seul ou en commun avec un maître d’apprentissage.
Autant éviter à chacun le coût et la durée de l’expérimentation individuelle. L’argument semble imparable. Il y a là une source d’économie de moyens, pour le formé comme pour le formateur.
Sauf qu’il faut s’interroger sur ce qu’il reste d’une séance de transmission de connaissances formelles, désincarnées, décontextualisées, hors sol. Le résidu utile, ce qui en est retenu au final est souvent minime, mal assimilé, flou, difficile à mettre en œuvre.
Le monde éducatif le sait bien, qui a inventé la gradation bien connue : cours, TD, travail sur projet. Il faut d’ailleurs compléter cette gradation en y ajoutant l’apprentissage, l’année de césure, et, plus explicitement encore, l’irremplaçable expérience professionnelle. Car il y a bien là une université de la vie, qui arme pour l’action, même si elle ne délivre pas de diplômes (ou plutôt ne permettait pas d’obtenir de diplômes jusqu’à la mise en place de la validation des acquis de l’expérience, la VAE). Mais ce qui importe dans la formation par compagnonnage, c’est de scander l’apprentissage qui s’opère par l’expérience de l’action en le mettant en exergue, en explicitant ce qu’il peut en être retenu, en le relativisant aussi, en un mot en invitant à un travail de réflexivité sur sa pratique pour apprendre à apprendre de son expérience et s’efforcer de consolider ses apprentissages empiriques par de la connaissance formelle.
Car l’expérience personnelle ne suffit pas en ce qu’elle est nécessairement locale, spécifique à son contexte, limitée. La puissance formatrice de l’empirique trouve ses limites dans la difficulté à en tirer les leçons, à structurer ce qui peut en émerger et à la mettre en perspective.
L’apprentissage d’une langue peut s’opérer dans la rue, mais seule une formation formelle de la grammaire permettra d’apprendre la structure et les règles de la langue.
Il ne s’agit donc surtout pas d’opposer formation formelle et formation par compagnonnage. Il s’agit de les adosser l’une à l’autre. En veillant à sensibiliser les tuteurs du compagnonnage non seulement sur le devoir de transmission, mais aussi et surtout sur les conditions d’efficacité de cette transmission et sur l’invitation corollaire à la réflexivité et … à la formation formelle qui structure, articule et ainsi consolide ce qui a été appris sur le tas, en le mettant en perspective.
Publié le mercredi 14 juin 2017 . 4 min. 23
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