Les fondements du management n’ont cessé d’évoluer au fil des décennies pour tenter de s’extraire d’un paradigme centré à l’origine sur l’autorité, la relation hiérarchique, et le contrôle. Dans ce contexte, une évolution majeure nouvelle est en cours.
Le modèle militaire, réduit à sa plus simple expression par le binôme « commandement et exécution », a pu inspirer le management des fabriques et des manufactures, c’est à dire des usines des débuts. Une logique plus civile avec Henri Fayol ou Frederik Taylor a conduit à adopter le principe de la prescription du travail à accomplir, complétée par le contrôle du travail produit, le tout synthétisable dans un binôme « prescription et contrôle ». Dans ce contexte, des espaces allaient s’ouvrir pour offrir des marges de manœuvre aux acteurs, et en particulier aux subordonnés, et permettre d’évoluer vers le couple (standardisation et contrôle). Paradoxalement, la standardisation des tâches et ce qui a pu être appelé le management scientifique à la Taylor, malgré un côté indéniablement contraignant, auront permis aux salariés les plus volontaires car convaincus de prendre des initiatives. Puis, sous l’influence de Chester Barnard, est venue la prescription par la finalité (ce qu’il faut accomplir) plus que par la spécification de la tâche (centrée sur comment le faire), conduisant au management par objectif à la Peter Drucker. Sont également apparues les logiques de Mary Parket Follett sur la responsabilisation des individus, ouvrant la voie à un binôme fortement renouvelé et autrement plus prometteur, que je résumerai par « objectifs et autocontrôle ».
Une forme d’humanisation a ainsi servi de fil conducteur à cette longue phase d’évolution du management pendant la première moitié du 20ème siècle. La gestion scientifique pensait l’homme et la femme au travail comme des forces de production qu’il fallait pousser à travailler pour les rendre plus productifs. En 1960, McGregor prend la posture inverse, avec la théorie Y (attention à ne pas la confondre avec ce qui a pu être appelé la génération Y). McGregor s’inscrit dans la veine de Parker Follett et propose de partir d’un postulat novateur : « les salariés veulent bien faire ». Sur cette base renouvelée, le rôle du management est de les mettre en condition de bien faire.
A mon sens, il y a là les prémisses de ce qui se joue aujourd’hui. Un glissement hors du paradigme de la hiérarchie, de la prescription et du contrôle pour aller vers un rôle managérial centré sur l’accompagnement, la bienveillance, l’empathie, l’aide, le conseil, afin de mobiliser les intelligences et les énergies.
Il s’agit d’embarquer, de donner envie, de parier sur les volontés de bien faire et sur les prises d’initiative, ce que la littérature décrit comme la capacité d’agence. La capacité d’agence c’est la capacité des collaborateurs à se conduire en agent, c’est-à-dire à agir, à prendre des initiatives. Ces prises d’initiatives se font au-delà du travail prescrit, mais en ligne avec les objectifs assignés - même si cela passe par une réinterprétation des objectifs par les collaborateurs, suivi par un réalignement opéré en continu et en souplesse par le management pour recoller au cap stratégique.
Voici une illustration concrète de ce que cela implique concrètement. Pour renouveler ses activités et se projeter vers un futur viable, l’entreprise est amenée à investir dans des projets d’innovation, avec en arrière fond une fonction R&D et une fonction marketing amont. Dans le passé, ces fonctions R&D et marketing amont (ou marketing stratégique) étaient le plus souvent pilotées par le haut dans une logique d’innovation dirigée, c’est-à-dire sur la base des projets prioritaires assignés par les dirigeants. J’observe que de plus en plus d’entreprise s’efforcent de parier sur les propositions d’innovation et de renouvellement qui émanent du terrain, au travers de toute l’organisation. Dans ce contexte, le rôle du management reste essentiel mais prend une autre forme. Plutôt que de se voir comme les seuls à même de définir les projets à développer, le management, et en particulier le management intermédiaire, est amené à détecter les idées nouvelles qui sont proposées par l’organisation. Il s’agit d’écouter les propositions, de faire preuve au moins autant d’empathie et de bienveillance que de sens critique pour permettre aux proposants de prendre le temps de faire murir leurs idées et de venir ensuite les présenter pour arbitrage, cette fois sans concession mais sur la base de dossiers muris, documentés et argumentés. Au passage, des managers à différents niveaux décisionnels seront invités à prendre fait et cause pour celles des propositions qui remontent ainsi et à se transformer en avocat et coach des proposants, de leur idée et de l’équipe qui auront été constituées chemin faisant pour former une coalition de compétences.
Peter Senge (dans la « cinquième discipline ») aura été à mon sens un de ceux qui parmi les premiers ont senti venir cette seconde grande phase d’évolution du management. Après une première phase visant à humaniser l’autorité et la hiérarchie tout au long du 20ème siècle, vient en ce 21ème siècle qui s’installe, une seconde grande phase où les mots d’ordre deviennent : mobilisation des énergies et de l’intelligence distribuée, bienveillance et empathie, donner envie, encourager la prise d’initiative, accompagner et coacher.
Naturellement, ce qui peut être observé dans les organisations aujourd’hui est l’accumulation inévitable de toutes les couches sédimentaires passées avec une diversité de pratiques héritées de leçons expérimentales plus ou moins bien digérées par les managers en place, des plus éclairés aux plus autoritaires. Mais le sens de l’histoire me semble aller dans un sens favorable que j’appelle à l’évidence de mes vœux. Et cette évolution nécessite des ajustements dans les postures managériales.
Publié le jeudi 11 juillet 2024 . 6 min. 16
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