La promesse (donner les clés pour arriver au sommet et y rester) est alléchante, même pour un lecteur qui n’est ni dirigeant, ni manager. Est-elle pour autant tenue ?
Selon moi, oui ! En lisant ce livre, j’ai effectivement eu le sentiment d’aller à la rencontre d’une discipline – le management stratégique – particulièrement créative au sens propre du terme, c’est-à-dire remplie d’idées originales. En dix étapes (qui sont autant de chapitres), Jérôme Barthélemy donne un aperçu réjouissant de notre discipline appréhendée comme un corps de connaissances à la fois établies et robustes : établies parce que produites par des chercheurs et robustes parce que fondées sur des méthodes rigoureuses et adaptées.
Il prend vite le lecteur à contrepied en affirmant d’emblée qu’il n’existe pas de recettes du succès. La raison en est simple : « si elles existaient, toutes les entreprises les appliqueraient…et aucune ne sortirait du lot ». Si l’on va jusqu’au bout du raisonnement, on ne peut que conclure que le but de la recherche en stratégie n’est pas de découvrir des recettes mais bien d’aider à la formulation et la mise en œuvre des stratégies des organisations. Cela signifie aussi que la performance en stratégie est bien une affaire relative : il ne sert à rien d’être performant si les autres le sont autant que vous. L’effet de la Reine Rouge (the Red Queen Effect) vient le redire au lecteur, si jamais il avait eu le malheur de l’oublier : la stratégie - toute relative qu’elle est - est aussi affaire de mouvement (davantage que de position).
Face à ce constat qui pourrait paraître lucide mais sans appel, point de salut hors de la recherche ! Mais celle-ci reste trop discrète, confinée aux chercheurs et à ce qu’on appelle souvent, de façon parfois un peu condescendante, les sociétés savantes. Cette situation est notamment liée à la difficulté de lecture des articles scientifiques, produits … par des chercheurs…pour des chercheurs. En cherchant à remédier à ce confinement, cet ouvrage fait donc en quelque sorte œuvre de traduction, au sens littéral du terme.
Disons le tout de suite : la traduction proposée par Jérôme Barthélemy est parfaitement réussie. La recherche en stratégie peut sous cette forme être « passée » au monde des praticiens que sont les dirigeants, managers et consultants. J’ajoute tout de suite que la cible peut (doit ?) être élargie au monde de la formation et de la recherche. Etudiants de Master, enseignants et chercheurs en stratégie trouveront sans doute des résultats, des idées, des exemples qui seront sources d’apprentissages et d’inspiration. En tout cas, c’est ce que moi, j’y ai trouvé.
Si l’exercice est réussi, c’est probablement parce que l’auteur s’est notamment appuyé sur trois piliers : une sélection drastique des recherches relatées dans cet ouvrage, une écriture simple et enfin une attention toute particulière portée à la restitution de la finesse des résultats produits par ces recherches. Ce qu’il démontre aussi à mon sens, c’est que, quoi qu’en pensent certains, la recherche en stratégie is not bullshit !
Il me semble aussi que ce projet de traduction peut s’inscrire dans celui - plus large - de la participation des chercheurs aux débats sociétaux qui concernent la place de l’entreprise et plus globalement des organisations dans la Cité. La communauté des enseignants et chercheurs en stratégie y contribue déjà à travers différentes initiatives comme celles portées par la Revue Française de Gestion et son partenariat avec The Conversation, celles de la FNEGE et bien entendu celles de Xerfi. Mais peut-être pouvons-nous encore faire plus : nous pouvons notamment éclairer le décideur public et le citoyen sur un certain nombre de sujets, participer au(x) débat(s) public(s) concernant le travail, la politique publique en matière d’innovation, la question de la responsabilité des dirigeants…
Cette participation aux débats de la Cité en s’appuyant sur la recherche en management présuppose selon moi au moins trois choses.
1. Tous d’abord, il est nécessaire de choisir comme Jérôme Barthélemy une posture de « traducteur-passeur » en sachant faire « passer » la recherche stratégique dans le monde du conseil et des managers et plus largement celui de la Cité et des citoyens.
2. Ensuite, il ne faut pas tromper le citoyen sur « ce que l’on vend ». Autrement dit, quels types de connaissances et de résultats produisons-nous ? Il me semble que nous produisons des explications fondées sur des mécanismes. Nous sommes donc capables de produire des explications générales de phénomènes précis sans pour autant que ces explications aient force de loi. En effet, les mécanismes peuvent s’activer ou non dans tel ou tel contexte, c’est ce qui rend la prédiction si difficile en stratégie. Nous pouvons peut-être moins nous targuer d’être capables de prévenir l’avenir (contrairement à d’autres…) que de développer les qualités d’interprétation des praticiens et des citoyens devant une situation managériale donnée.
3 Enfin, il nous faut … un nom ! « Nommer, c’est faire exister » et dans une logique performative, nous pensons que nous devons nous trouver ni plus ni moins qu’un nom. Les enseignants-chercheurs en économie sont des économistes, ceux spécialistes de sociologie sont des sociologues (et l’on pourrait continuer la liste…) Et nous, qui sommes-nous ? Nous ne sommes pas des « économistes d’entreprise », ni des « gestionnaires »… Pour parler et écrire dans les médias (puisque c’est de cela que l’on parle), il serait sans doute très utile de savoir nous nommer nous-mêmes. Sommes-nous des « stratèges », des « stratégistes » ? Ce n’est pas certain que ces termes conviennent mais le débat est lancé !
Publié le mercredi 22 mars 2017 . 6 min. 12
D'APRÈS LE LIVRE :
Libérer la compétitivité : Comment parvenir au sommet... et y rester
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