Xerfi Canal présente l'analyse de Philippe Moati, économiste et co-président de l'Observatoire Société et Consommation (Obsoco)
L'Obsoco soutient l'hypothèse que les marchés de consommation vont progressivement s'orienter vers des logiques servicielles. La logique servicielle consiste à établir une relation marchande qui vise avant tout à rendre service aux clients, à leur fournir les effets utiles recherchés, des solutions plus ou moins intégrés à des problèmes ciblés. Plusieurs forces poussent dans cette direction : le poids croissant de la contrainte écologique dans la mesure où la logique servicielle peut favoriser certaines formes de dématérialisation de la consommation ; les attentes des consommateurs en matière de consommer mieux ; et puis les entreprises qui sont de plus en plus nombreuses à rechercher leur compétitivité dans une stratégie d'orientation client ce qui les amène à s'intéresser de beaucoup plus près aux attentes de leurs clients et aux moyens de les satisfaire.
Selon cette perspective, il s'agira de moins en moins de vendre des biens en tant que tel, mais plutôt de vendre les effets utiles associés à la consommation des biens. Autrement dit, vendre directement l'usage sans nécessairement céder le droit de propriété. Les enquêtes montrent que de plus en plus de consommateurs sont d'accord avec l'idée que c'est l'usage qui compte, pas nécessairement la possession. C'est cette idée qui est incarnée à grande échelle au travers de dispositifs tels que Vélib ou Autolib.
L'Obsoco a tenté de voir dans cette tendance, une formidable opportunité pour le secteur de la location. La location, c'est par définition, l'usage plutôt que la propriété. Elle présente en outre l'avantage pour les consommateurs de leur permettre de faire évoluer leur équipement avec l'évolution de leurs goûts ou de leurs besoins. Accessoirement, la location permet de ne pas avoir à débourser une grosse somme d'un coup pour l'acquisition de l'équipement recherché, ce qui peut constituer un atout en période de tension sur le pouvoir d'achat.
De fait, la location bénéficie d'une redynamisation depuis quelques années. De nouveaux acteurs se positionnent sur ce marché. Par exemple, HTM (Maison mère de Boulanger) a lancé LOKEO, un site de location de matériel électroménager, image, son, et microinformatique. Peugeot, avec son programme « mu », propose désormais une offre de location courte durée à géométrie variable permettant, au gré de l'évolution du besoin de mobilité de disposer d'une voiture urbaine, d'une familiale, voire d'un scooter ou d'un vélo. Enfin, les sites de locations entre particuliers, comme Zilok ou Consoglobe, se multiplient sur la toile.
Dans quelle mesure la location peut-elle effectivement occuper une place significative dans le nouveau modèle de consommation ? Un modèle de consommation qui viserait à la fois à optimiser le pouvoir de consommation des ménages et à réduire l'empreinte écologique de la consommation. Le tout en s'appuyant sur des modèles économiques rentables pour les entreprises ?
Il convient ici sans doute de distinguer la location courte durée de la location longue durée.
La location courte durée est incontestablement vertueuse dans la mesure où elle revient à organiser une mutualisation des produits. Pour le consommateur, elle permet d'éviter d'avoir à effectuer une immobilisation pour un équipement qui n'est utilisé que sporadiquement. Bénéfice annexe : le gain de place… En outre, grâce à la location, le consommateur peut accéder au produit le plus adapté à son besoin de l'instant. Sur le plan environnemental, grâce à un taux d'utilisation élevé, rendu possible par la mutualisation, le bilan effets utiles fournis / matière consommée est bien meilleur que celui associé à l'équipement individuel des ménages. Reste à organiser le service de location de manière à en réduire les coûts annexes : obligation de se déplacer pour prendre possession et restituer le matériel, risque d'indisponibilité… Les plateformes de location entre particuliers, avec géolocalisation, bénéficient ici d'un atout considérable, dès lors que le nombre de participants dépasse une densité minimum. De la même manière, on peut imaginer que des entreprises qui disposent d'un réseau à forte capillarité, comme la distribution alimentaire ou la Poste, pourraient utiliser ce réseau afin d'assurer un service de dépôt de proximité. Les collectivités locales pourraient aussi intervenir à cette échelle. Ici ou là, des bricothèques ont déjà été mises en place.
La location longue durée, de son côté, n'est pas nécessairement vertueuse. Proposer en location des équipements que les consommateurs pourraient à l'identique achetés neufs ne se distingue pas significativement d'une vente à crédit. Et comme la vente à crédit, elle conduit à un surcoût très significatif pour les consommateurs. Un modèle plus vertueux consisterait dans un service de location qui serait assuré directement par les fabricants des équipements à partir d'une gamme de produits dédiés. La durabilité des produits, la facilité de leur maintenance et de leur recyclage entrerait alors directement dans l'équation de leur rentabilité. Les biens mis en location se distingueraient alors de ceux que l'on trouve en vente par un surcroît de qualité qui pourrait diminuer significativement l'impact environnemental tout en diminuant très probablement le coût d'usage pour les consommateurs.
On le voit au travers de ces exemples, si la location est appelée à devenir l'un des piliers du nouveau modèle de consommation, c'est toute l'architecture des marchés qui s'en trouverait ébranlée, et en particulier le rôle que tient aujourd'hui le commerce dans la satisfaction des besoins. Une invitation supplémentaire pour tous les acteurs de l'offre à repenser rapidement leur vocation, leur métier et le contenu de leurs offres dans un paysage qui change à une vitesse accélérée.
Philippe Moati, Que loués soient les produits ! vers une logique servicielle, une vidéo Xerfi Canal
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