Le France se distingue sur la scène internationale pour le lien très particulier qu’elle entretient avec nucléaire. L'atome pèse aujourd'hui pour 70% dans le mix énergétique contre 10% au niveau mondial ; et, militairement, la France est la troisième puissance sur la planète en matière d'arsenal nucléaire, derrière les Etats-Unis et la Russie. Pour comprendre cette relation si spéciale qui a conduit à ce développement, il faut remonter à loin, plus précisément à la veille de la Seconde guerre mondiale, comme nous le rappelle les auteurs de l'ouvrage collectif "Résistance et disssuasion" (ed.O.Jacob) rédigé sous la direction de Céline Jurgensen, diplomate, et Dominique Mongin, historien à l'ENS.
En 1939, une équipe de chercheurs du Collège de France, menée par Frédéric Joliot dépose 3 brevets et adresse à l'Académie des Sciences, sous pli cacheté, une note sur « la possibilité de produire du milieu uranifère des réactions en chaîne illimité ».
La lettre ne sera ouverte qu'en 1948. Mais, entretemps les bases de cette forte relation entre la France et le nucléaire seront posées, via le groupe des "atomiciens de la France libre". Dès que la guerre éclate, Frédéric Joliot parvient à convaincre le ministre de l'Armement, Raoul Dautry, de mettre à l'abri le stock le plus important possible d’eau lourde, ressource stratégique rare et indispensable pour provoquer des réactions en chaîne. Il s'en suivra une mission secrète vers la Norvège où se situait presque tout le stock mondial. Mission au cours de laquelle les rusés français échapperont de justesse aux Allemands en chargeant la cargaison à bord d'un avion pour l'Ecosse avant d'emprunter le vol pour Amsterdam qui lui, sera bel et bien intercepté par la Luftwaffe.
Arrivés en France, les 26 bidons de 8 litres seront ensuite cachés dans différents endroits à Paris et en Auvergne avant de prendre la route de l'Angleterre, en compagnie d'Halban et Kowarski, deux membres de l'équipe de Joliot. Ce dernier restera lui en France pour s'assurer que l'occupant allemand s'accapare le moins possible ses travaux.
A Londres Halban et Kowarski vont poursuivre leurs recherches en collaboration avec les scientifiques britanniques. Ils seront ensuite mis en sécurité outre-Atlantique, à l'été 1942, où ils vont fondre leurs travaux avec ceux des chercheurs canadiens pour devenir, tel qu'ils se baptisaient, "la première entreprise scientifique multinationale au monde".
A la fin de la guerre, ces chercheurs sont soumis au dilemme au double loyauté. Faut-il respecter les obligations de confidentialité imposées par le pays d'accueil ? Ou choisir de servir la France ? C'est la deuxième option qui s'imposera, les chercheurs ayant pu compter sur le soutien des leurs homologues anglais (au grand damn de Churchill) et des responsables de la France. Et c'est cet esprit de résistance qui a conduit à la mise en place du Commissariat à l'énergie atomique, dirigé par Frédéric Joliot, dès 1945.
On voit bien qu'au cours de ces années fondatrices, chez les atomiciens de la France libre, c'est l'enjeu de souveraineté qui a conduit la France à développer le nucléaire. Ces toujours cet enjeu qui poussera le général de Gaule à accélérer les programmes, notamment dans les années 1950 où les puissances américaines et russes ne se privaient pas de bluffer avec cette nouvelle arme, que ce soit dans le cadre du conflit indochinois ou de la crise de Suez.
Et on ne peut que constater la solidité de ces fondations posées il y plus de 70 ans, puisqu'un effort financier a encore été consenti en faveur du nucléaire dans la loi de programmation militaire 2019-2025.
Publié le mercredi 29 mai 2019 . 4 min. 00
D'APRÈS LE LIVRE :
Résistance et Dissuasion: Des origines du programme nucléaire français à nos jours
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