Cette vidéo a été réalisée en partenariat avec Patrice Cottet (Université de Reims), Marie Christine Lichtlé (Université de Montpellier) et Véronique Plichon (Université de Tours).
Se protéger pour ne pas tomber malade et risquer sa vie devrait être le comportement naturel de tout individu. Pourtant le 15 mars 2020, jour des élections municipales, seulement 22,8% des personnes interrogées lors d’une enquête menée auprès de 5050 Français, suivaient toutes les consignes sanitaires de l’Etat. Aujourd’hui, en période de confinement, seulement 37% les suivent systématiquement. Dans l’ensemble, les répondants respectent les directives et seuls 17 ne les suivent pas du tout. Plus précisément, les mesures les moins suivies aujourd’hui, sont, d’après cette enquête : l’usage d’un mouchoir à jeter après usage (77.1%), le lavage des mains (59,6%), le fait de tousser dans son coude ou dans un mouchoir (76.1%). Les consignes liées à l’obligation d’avoir son attestation dérogatoire à chaque sortie (93.6%), à la limitation de déplacement (81.3%), au respect des distances (84.8%), au fait de n’embrasser personne (86.5%) et à ne serrer aucune main (96.9%) sont mieux respectées, même si un nombre significatif d’individus ne les appliquent pas. Alors que le gouvernement multiplie les messages sur les directives sanitaires, comment expliquer que ces consignes ne soient pas totalement mises en œuvre ? Comment les comportements évoluent-ils dans le temps ?
Distance psychologique et comportements
Si de nombreux facteurs individuels (sociodémographiques, culturels, perception du risque et de la gravité de la pathologie…) et environnementaux (rôle de l’entourage) ont souvent été mis en évidence pour expliquer le respect des consignes sanitaires, il s’avère que les individus ont souvent tendance à ne pas appliquer les prescriptions données (Sapkota et al., 2015). Il serait possible de supposer, comme Reach en 2018, que le non-respect des consignes sanitaires et thérapeutiques est un phénomène naturel car les individus privilégient souvent le présent au futur. Ainsi, ce non-respect pourrait être lié à une incapacité à donner la priorité à l’avenir, la santé en faisant partie : plus la maladie et ses conséquences vous paraissent psychologiquement éloignées, abstraites, loin de votre quotidien et de ce que vous vivez, moins vous avez tendance à prendre vos précautions pour éviter un risque dans le futur.
Cette tendance peut s’expliquer par la théorie des niveaux de construit (Trope et Liberman, 2010), qui permet de mieux comprendre la manière dont les individus pensent, se représentent leurs actions et prennent leurs décisions. Les personnes forment des “construits mentaux”, qui varient selon la distance psychologique perçue à l’égard des objets. En d’autres termes, plus un objet (ici la maladie) vous paraît éloigné de votre univers, plus il vous semble abstrait. A l’inverse, plus vous vous sentez proches psychologiquement de la maladie, plus ses conséquences sont concrètes pour vous ; vous voudrez alors éviter ses effets négatifs, en respectant les directives de l’Etat. Etre proche psychologiquement du Covid-19 signifie, par exemple, se sentir à proximité des porteurs du virus, connaître une personne malade, avoir une forte probabilité de contracter la maladie plus ou moins rapidement.
Trois types de comportements sanitaires
Les résultats de l’étude que nous avons réalisée auprès de 5 050 personnes confirment l’effet de la distance sur l’observation des consignes sanitaires : plus vous êtes distant(e) envers la maladie, moins vous appliquez les directives sanitaires. L’évolution de la distance entre le 15 mars (juste avant le confinement) et aujourd’hui a ensuite été appréhendée. Trois groupes d’individus émergent.
- Le groupe 1 : les personnes dont la distance psychologique a diminué (37.18%)
Ces individus, qui ne font pas partie des personnes à risque, se sentent aujourd’hui plus proches de la maladie qu’au début du confinement. Le 15 mars, ils avaient l’impression d’en être psychologiquement très éloignés. Peu stressés, ils n’en avaient pas peur. Ils respectaient alors moins les règles d’hygiène et de distanciation que les autres groupes et n’ont pas hésité à quitter leur domicile pour choisir un lieu de confinement plus adapté. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Certains ont eu des symptômes de la maladie. Ils estiment ainsi plus probable d’être porteur ou d’avoir le Covid-19 ; cette maladie est devenue plus concrète et est plus grave pour eux. Leur distance envers la maladie a donc fortement diminué et ils se tiennent davantage informés. Leur risque perçu pour soi et pour autrui est au-dessus de la moyenne de la population. Ils évitent les contacts au sein de leur foyer, sont les plus stressés, les plus anxieux. Ce groupe, de genre mixte, est un peu moins âgé que la moyenne et son niveau d’études est plutôt élevé.
- Le groupe 2 : les personnes dont la distance n’a pas changé (42.19%)
Depuis le début du confinement, ces individus se sentent assez éloignés de la maladie. Dans l’ensemble, ils ont appliqué les consignes sanitaires dès le 15 mars, en étant moins stressés. Ils n’ont eu aucun symptôme de la maladie. Aujourd’hui, ils n’hésitent pas à pratiquer une activité physique extérieure, à avoir des contacts en face à face et estiment leur probabilité de porter ou d’avoir la maladie plus faiblement que les autres. Leur niveau d’étude est plus faible que celui des autres.
- Le groupe 3 : les personnes dont la distance psychologique a augmenté (20.63%)
Ces individus se sentent moins proches de la maladie qu’auparavant. Se considérant comme des personnes à risque, ils étaient, dès le départ, les plus anxieux, les plus stressés, avaient peur de la maladie et se sentaient psychologiquement plus proches de la maladie. Ils ont donc accueilli très favorablement les mesures prises et les ont totalement respectées. Aujourd’hui, le risque perçu, pour soi et pour autrui, est toujours très élevé chez eux par rapport aux autres groupes. Mais, grâce au strict respect des consignes, ces personnes n’ont eu aucun symptôme de la maladie et perçoivent ainsi une distance à l’égard de la maladie qui s’est accrue. Elles poursuivent leur comportement préventif en désinfectant leur maison et en évitant au maximum les contacts, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du foyer. Ces individus, et sûrement grâce aux remparts qu’ils ont su mettre en place, perçoivent une probabilité d’avoir la maladie plus faible que la moyenne. Ce groupe est constitué plutôt de femmes, plus jeunes que la moyenne.
Ces résultats permettent une meilleure compréhension des comportements sanitaires face au Covid-19 et peuvent être appliqués à d’autres contextes : plus vous vous sentez proche d’une maladie, plus vous respectez les mesures préventives. Ce travail a un impact dans le cadre du marketing social et sociétal. Ainsi, pour être efficace et conduire au respect de règles sanitaires, il est souhaitable que la communication publique rende une maladie plus proche et plus concrète.
Publié le samedi 13 juin 2020 . 3 min. 31
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