L’incertitude est devenue la caractéristique marquante de notre époque. Définie comme l’absence d’information au sujet d’un phénomène donné, elle est anxiogène : on ne sait pas à quoi s’attendre demain – perte d’emploi, maladie, accident, guerre, etc. et nous nous sentons donc désemparés. La crainte principale liée à l’incertitude, en effet, est celle de la perte de contrôle, quand on est soumis aux événements et qu’on ne peut plus rien prévoir ni planifier.
Mais cette crainte repose sur une croyance qui est que seule la prédiction permet de contrôler. C’est pour cela que plus l’incertitude est forte, plus nous renforçons notre posture prédictive. Or cette croyance est problématique à deux égards.
Premièrement, l’histoire a montré, et pas seulement ces trois dernières années, que plus la situation est incertaine, plus la prédiction est difficile. Les plus grands changements ont rarement été prédits, et les changements prédits ne se sont souvent pas produits. La prédiction ne donne donc pas le contrôle, mais l’impression – ou l’illusion – de contrôle.
Deuxièmement, cette notion de contrôle est ambiguë. Nous croyons que la prédiction permet de contrôler, mais contrôler quoi ? Quand nous utilisons la prédiction, nous supposons en effet – sans souvent avoir conscience – que le futur est déjà écrit, et que nous ne pouvons pas l’influencer. La seule possibilité est de le prédire le mieux possible et, une fois cela fait, d’en tirer parti. Si je vends des brosses à dents, j’ai besoin de « savoir » vers où va le marché des brosses à dents. Une fois cela fait, je me pose la question : comment puis-je profiter au mieux, par mes actions, de ce qui va se passer ? Ici, l’action porte donc sur les aspects prédictibles d’un futur que l’on ne peut pas contrôler.
Et pourtant, les entrepreneurs ont montré depuis longtemps qu’on peut exercer un certain degré de contrôle en incertitude. Mais sur quoi ?
Imaginez que vous soyez une startup qui vient de mettre au point un nouveau produit, par exemple une chaise en bois verte. Vous allez la présenter à un client potentiel. Celui-ci vous dit : « Génial, mais je la préférerais en rouge. » Vous avez quatre possibilités. La première, c’est de faire ce que demande le client ; c’est l’adaptation. La seconde, c’est de trouver un autre client ; c’est la segmentation. La troisième possibilité, c’est d’insister pour qu’il prenne la chaise verte ; c’est la posture visionnaire.
Il existe une quatrième possibilité qui consiste à discuter avec le client pour définir la chaise que vous pourriez créer ensemble. Après tout, le futur des chaises est incertain et ni vous ni lui ne savez de quoi l’avenir du marché est fait. L’accord consiste à définir ce qui est acceptable pour vous deux. « Que pouvons-nous faire ensemble ici et maintenant pour créer une chaise ? » Une fois la chaise réalisée, vous pouvez répéter l’exercice avec le même client, ou avec un autre. En co-créant avec une partie prenante, vous acquérez une capacité de contrôle sur le court-terme, qui vous dispense donc de prédire le long-terme. Pour avancer dans l’incertitude, il n’est plus nécessaire de prédire, il vous suffit de co-créer avec quelqu’un.
Dans une posture prédictive, nous avons vu que l’action porte donc sur les aspects prédictibles d’un futur que l’on ne peut pas contrôler. Ici, au contraire, l’action porte sur les aspects contrôlables du futur que nous n’avons donc pas besoin de prédire.
On le voit, l’incertitude n’exclut pas le contrôle. Nous ne contrôlons pas ce qui arrive, c’est le côté anxiogène, mais nous pouvons néanmoins contrôler comment tirer parti de ce qui arrive. C’est comme cela que l’incertitude peut être une source d’opportunités et d’innovation.
Et donc, face à l’incertitude, la bonne question n’est pas « que va-t-il se passer ? », mais « Face à ce qui se passe, que puis-je faire là, maintenant ? » et surtout « Avec qui puis-je le faire ? ».
Publié le lundi 3 avril 2023 . 4 min. 33
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