Dans les discussions sur le conflit israélo-palestinien, on parle souvent de sécurité, de religion et de politique. Pourtant, un facteur clé reste sous-estimé : la démographie. C’est ce qu’a montré le géopolitologue Bruno Tertrais, Directeur adjoint à la Fondation pour la Recherche Stratégique, lors d’une conférence à l’Institut Diderot sur « le Choc démographique mondial ».
Israël, contrairement à la plupart des pays développés, connaît une croissance démographique soutenue. Son taux de fécondité, supérieur à 3 enfants par femme, est l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE. Cette vitalité démographique s'explique en grande partie par les communautés religieuses, notamment les haredim (les ultra-orthodoxes), dont le taux de natalité dépasse largement la moyenne nationale. D’ici 2050, les haredim pourraient représenter un tiers de la population israélienne, transformant le paysage politique et social du pays.
Cependant, la fécondité n'est pas le seul facteur de cette croissance. L’immigration joue également un rôle crucial. Depuis sa création, Israël a accueilli plusieurs vagues d’immigration des Juifs du monde entier. Cette immigration, encouragée par la Loi du retour, a fortement contribué à la croissance de la population juive d’Israël. Aujourd'hui, Israël continue d'attirer des immigrants juifs, notamment d’Europe, des États-Unis et des pays de l'ex-URSS. Cet afflux de nouveaux arrivants permet à Israël de compenser en partie le vieillissement de la population.
L’impact de cette croissance démographique et de l’immigration est double. Sur le plan interne, elle offre à Israël un avantage stratégique en termes de population active, de renouvellement des forces vives et de cohésion nationale, même si l'intégration des différentes communautés peut être complexe. Sur le plan régional, Israël bénéficie d’un rapport de forces démographique favorable par rapport à ses voisins arabes, dont les taux de fécondité ont commencé à baisser. La population israélienne pourrait atteindre 12 millions d'habitants en 2050, contre un peu moins de 10 millions en 2024, renforçant la position d'Israël dans un Proche-Orient en mutation.
Du côté palestinien, la démographie reste un enjeu crucial. La population des territoires palestiniens continue de croître rapidement, même si le taux de fécondité a légèrement diminué ces dernières années. Cela accentue la pression sur les ressources, les infrastructures et le territoire, aggravant ainsi les tensions. Comme le souligne Tertrais, la démographie palestinienne est un élément central des négociations et complique la mise en œuvre d'une solution à deux États. La forte croissance démographique en Cisjordanie et à Gaza, combinée à des conditions de vie difficiles, risque de renforcer encore davantage l'instabilité de la région.
La question démographique est également liée aux préoccupations stratégiques israéliennes. Certains responsables politiques craignent qu'à terme, sans solution claire pour séparer les populations juives et arabes, la population arabe en Israël et dans les territoires occupés ne devienne majoritaire, compromettant ainsi le caractère juif de l'État d'Israël. Ce "risque démographique" alimente les débats sur la politique d’immigration, les colonies, et le statut des populations palestiniennes.
On voit bien que la démographie est un enjeu central mais trop souvent négligé du conflit israélo-palestinien. Elle façonne l’avenir des deux peuples. Elle impacte les stratégies politiques et les perspectives de guerre et de paix. Pour comprendre et anticiper les évolutions du conflit, il est essentiel d’intégrer au raisonnement que la démographie – qu'il s'agisse de natalité ou d'immigration – reste un facteur décisif de la stabilité et du futur de la région.
Publié le jeudi 07 novembre 2024 . 4 min. 17
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