Lors de la dernière campagne présidentielle américaine, Elon Musk, via son réseau X, comparait sans relâche le vote pour Donald Trump à la prise de la pilule rouge dans Matrix. Une métaphore puissante : choisir de voir une réalité cachée. Le triomphe de Trump et des républicains marque-t-il alors l'avènement de cette réalité, un changement radical de paradigme ?
Un État réinventé façon start-up
Elon Musk admire ouvertement WeChat, cette application chinoise qui fusionne messagerie, paiements, et services publics. Son ambition avec X, ex-Twitter, est similaire : une plateforme universelle centralisant interactions sociales, économiques et administratives. Dans cette logique, le D.O.G.E. (Department of Government Efficiency), initiative qu’il a portée au-devant des débats, s’impose comme l’extension naturelle de cette vision. Musk veut révolutionner l’État en le remodelant à l’image des plateformes comme Uber : réduire les coûts, automatiser les fonctions publiques via l’IA, et centraliser les interactions citoyennes au sein d’une méga-interface unique.
Les promesses séduisantes d’une gouvernance algorithmique
L’idée est simple : offrir des baisses d’impôts en réduisant les coûts administratifs. Derrière cette séduction fiscale, le D.O.G.E. annonce surtout une reconfiguration totale des relations entre citoyens et services publics. Inspiré des modèles intégrés des grandes plateformes, il propose de transcender l’opposition entre marchés et hiérarchies, théorisée par Ronald Coase et Oliver Williamson. Ces derniers avaient montré que, quand les coûts de transaction sont trop élevés, les organisations hiérarchiques prennent le relais des marchés. Or, comme l’a démontré Uber, la technologie abat ces coûts, ouvrant la voie à une nouvelle forme de gouvernance.
Un État administré par algorithmes
Le D.O.G.E. va plus loin : en supprimant à la fois les marchés et les hiérarchies, il établit une gouvernance automatisée par des algorithmes. Plus besoin d’un système complexe de lois, de juges, ou même de fonctionnaires. L’intelligence artificielle gère en temps réel les interactions et redistributions. Cet avenir ne se limite pas à la promesse d’efficacité. Il marque une rupture avec la démocratie telle qu’on la connaît.
Quand libertarisme rime avec technocratie
Sous ses atours de solution technologique, le D.O.G.E. symbolise une convergence inquiétante entre libertarisme, ultralibéralisme, et gouvernance algorithmique. Ce modèle ne cherche plus à concilier liberté individuelle et régulation publique. Il sacralise la performance technique au détriment de toute souveraineté populaire. La pilule rouge, vantée par Musk, n’est pas l’éveil espéré, mais l’acceptation d’un monde où le pouvoir échappe autant aux États qu’aux citoyens. Un monde gouverné par des algorithmes, où l’humain devient spectateur de sa propre désillusion.
Références :
• Birkinshaw J., Liang-Hong Ke D., de Diego E. (2019). The Kind of Creative Thinking That Fueled WeChat’s Success, Harvard Business Review.
• Coase, R.H. (1937), The Nature of the Firm. Economica, 4: 386-405.
• Rogers, A ., Palma, S. (2024). Donald Trump chooses Elon Musk and Vivek Ramaswamy to lead government efficiency effort. Financial Times.
• Williamson, O. E. (1985). The Economic Institutions of Capitalism. The Free Press.
Publié le lundi 02 décembre 2024 . 4 min. 14
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