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La concurrence, c’est pour les losers

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Benoît Heilbrunn

- Philosophe et professeur de marketing à ESCP Business School

Benoît Heilbrunn

- Philosophe et professeur de marketing à ESCP Business School

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On nous répète à loisir que la concurrence aiguise le talent, stimule l’innovation, récompense le mérite. On nous dit que dans le grand marché, chacun a sa chance, que les meilleurs finissent toujours par gagner et que les règles sont les mêmes pour tous. Victor Hugo, dit-on, répondait à qui l’interrogeait sur ses lectures : « Une vache ne boit pas de lait. » Ce qui signifie que l’auteur ne consomme pas ce qu’il produit, ne se nourrit pas des autres, et surtout : ne se compare pas. Hugo écrivait au-dessus du tumulte. Il n’était pas dans la mêlée, mais dans la lumière. À mille lieues du petit théâtre des égos et des rivalités. Il n’était pas en concurrence. Il était hors concurrence. Le drame de notre époque, c’est que la vache s’est mise à boire son propre lait. Le manager benchmarke, le startupper scrute, le créatif surveille. On vit sous perfusion de classements, de métriques, de dashboards. On passe son temps à s’auto-observer, à mesurer ce que fait le voisin, à comparer, aligner, corriger, optimiser. On vit dans le benchmark permanent. Le problème est que le benchmark ne fait que conforter des certitudes. Il rassure, il stabilise, il valide ce qu’on croyait déjà. Il ne fait jamais trembler. Il ne désarçonne pas. Il ne produit aucune rupture, aucune invention. Il enferme dans le connu, dans le prévisible, dans le petit jeu des différences marginales. Il ne fait que fabriquer du conformisme stratégique.Or la concurrence n’a jamais fait jaillir le génie. Elle entretient l’émulation médiocre, le perfectionnement des détails, l’amélioration sans dépassement. Elle rend nerveux, jamais inspiré. Elle est une école de la peur, pas de la vision. Les grands esprits ne se confrontent pas : ils détonnent. Ils inventent des mondes, des formes, des attentes. Osons donc le dire : la concurrence, c’est pour les loosers .Pour ceux qui doivent se battre sur les prix, suivre les tendances, se disputer des miettes de marché à coup de promotions et de micro-avantages. Pour ceux qui vivent dans le rétroviseur. Les vrais stratèges ne regardent pas les autres : ils regardent ailleurs. Les gagnants, les vrais, sont hors-concurrence. Ils créent leurs propres catégories, leurs propres règles, leur propre tempo. Hermès ne fait pas mieux que ses rivaux : la marque agit selon une logique de souveraineté, pas de compétition. Les vrais stratèges ne jouent pas à la concurrence : ils en sortent. Ils refusent les règles du jeu, parce qu’ils en créent d’autres. Ils ne gagnent pas à la loyale : ils changent le terrain. La concurrence, c’est pour ceux qui doivent prouver qu’ils existent. Les gagnants n’ont pas besoin de preuve. Ils n’ont pas à se hausser du col : leur simple présence suffit à faire autorité. Le marché adore les gladiateurs. Mais l’histoire, elle, se souvient des prophètes.

Publié le mardi 10 juin 2025 . 3 min. 08

Mots clés : Marketing
Stratégie
Stratégie
Concurrence
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