Vidéo réalisée en partenariat avec le Printemps de l’économie 2024 « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? »
En janvier 2018, au forum de Davos, le financier George Soros lançait un cri d’alarme en insistant sur l’urgence de mieux règlementer le secteur numérique. Non seulement les géants du numérique jouissent une extraordinaire profitabilité, disait-il, mais le fait qu’ils soient en situation de quasi-monopole contribue à en faire de véritables services publics dont l’accès doit être garanti.
On pourrait penser que l’appel de Soros a été entendu. L’Union européenne a mis en place une série de règlementations du secteur numérique tel que le RGPD en 2016, qui encadre la gestion et l’exploitation des données personnelles, ou plus récemment les DMA (Digital Market Act) et DSA (Digital Service Act) adoptés en 2022 et qui entrent progressivement en vigueur.
es réglementations sont fondées sur une logique qui consiste à empêcher les entreprises dominantes, les fameuses GAFAM, d’abuser de leur domination en les obligeant à garantir un accès ouvert et transparent à leurs services. La réglementation européenne vise ainsi à renforcer les mécanismes de marché en favorisant la mise en place d’un « ordre concurrentiel », l’un des piliers de l’ « économie sociale de marché ».
Prenons l’exemple du RGPD. L’objectif du règlement n’est pas d’interdire l’exploitation ou la revente des données personnelles mais de recueillir le consentement éclairé des utilisateurs et de les informer sur l’usage des données collectées. Il impose aussi le consentement avant d’importer des cookies, ces petits fichiers utilisés par les sites Internet pour garder trace des comportements. Le RGPD s’apparente donc à une forme de contractualisation ; il crée de toute pièce un marché au centre duquel se trouve l’accord explicite de l’usager pour que son comportement soit observé, transformé en données et traité algorithmiquement.
Il faut bien entendu se réjouir que ce cadre existe ; mais on peut aussi remarquer que la logique à l’œuvre relève d’une forme de marchandisation. L’utilisateur doit consentir pour accéder à certains services. Il y a donc un échange que le RGPD révèle derrière l’apparente gratuité. En cherchant à limiter les abus des plateformes, la réglementation entend préserver la fiction d’un marché libre où chacun consentirait à une transaction.
On peut cependant se demander si ce cadre normatif représente ou déforme la réalité. Les chauffeurs Uber sont-ils des entrepreneurs indépendants ou des salariés sans droits ? Les relations entre YouTube et les créateurs de vidéos relèvent-elles de la simple transaction ou d’une relation de dépendance ? En réglementant davantage, on espère renforcer une forme de concurrence. Mais la dynamique qui prévaut au sein du secteur numérique n’est-elle pas celle de la course au monopole et de l’exploitation d’une rente ?
Le fait est que beaucoup de plateformes tendent à remplacer les marchés eux-mêmes. Ainsi, le modèle d’Uber n’est pas celui un espace ouvert au sein duquel producteurs et consommateurs contractent librement – ce qui s’apparenterait à un marché – , mais celui d’un espace privé, au fonctionnement opaque, qui organise les transactions en imposant des prix aux deux parties.
Si les plateformes numériques se mettent à remplacer les marchés, la logique de la réglementation ne devrait pas être de renforcer la concurrence et de favoriser le consentement éclairé, mais de gérer une relation structurellement inégalitaire en accordant des droits spécifiques aux parties faibles et dépendantes. Elle devrait s’inspirer du droit du travail plutôt que du droit commercial. C’est ce changement de paradigme qu’il faudrait faire prévaloir dans les futurs projets de réglementation.
Publié le mercredi 24 avril 2024 . 3 min. 47
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