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Virus, Crise, Covid-19, pandémie, cette crise sanitaire sans précédent a évidemment des répercussions très immédiates et concrètes sur les entreprises. Et dans la mesure où elle serait fortement liée à une catastrophe environnementale, il est utile de proposer aux entreprises des voies stratégiques d’innovation pour s’approprier enfin pleinement les enjeux environnementaux. Des réflexions sont engagées à l’initiative de la Commission Européenne, de scientifiques, d’ONG, de syndicats et de nombreuses personnalités pour que le modèle économique post COVID19 soit un modèle respectueux des sphères sociale et environnementale. Comment les entreprises peuvent-elles répondre à cet appel vers une économie moins carbonée ?


Michel Aglietta disait récemment sur cette chaîne que nous avions affaire « à la première catastrophe mondiale provoquée par la destruction de la biodiversité », plaidant pour un green New Deal afin de traiter les causes de cette crise environnementale liée aux dérèglements climatiques. N’ayons plus d’obsession pour la reprise économique à court terme ! Essayons de réfléchir à long terme, de traiter l’origine, de restaurer les biens communs, surtout la biodiversité, par une transformation radicale de notre modèle économique. Michel Aglietta suggère d’agir conjointement à deux niveaux : une réduction des inégalités sociales et une économie politique qui éliminerait toute subvention aux énergies fossiles, qui serait basée sur les smart grids, l’efficience énergétique et les transports à bas carbone, ou sur l’économie circulaire. Il est donc nécessaire que les entreprises s’approprient ces enjeux à long terme et participent à cet effort global vital pour la planète.


Quand on parle du lien entre crise et innovation, qui a surtout été traité au niveau de l’innovation technologique, deux réactions contradictoires s’affrontent : d’un côté, certains voient l’innovation comme un sésame pour sortir de la crise, d’autres y voient un facteur aggravant notamment sur le plan financier. Je pense pour ma part que les crises sont facteurs de renouvellement de nos modèles d’affaires et des terreaux nouveaux pour l’innovation, la crise étant vue, je cite Attali (1991), comme « une longue et difficile réécriture qui sépare deux formes provisoires du monde », donc un processus de transformation qui pousse à la restructuration des systèmes. D’ailleurs, certains auteurs comme Archibugi et al. (2013) ont montré que ce sont les entreprises qui « nagent à contre-courant » en quête de stratégies exploratoires vers de nouveaux développements de produits et de marchés qui s’en sortent le mieux. Que seraient ces stratégies exploratoires aujourd’hui ?
Une chose importante concernant l’innovation est qu’elle a toujours été en lien avec la croissance. «?Innover?» c’est la réponse à une situation résultant d’une révolution industrielle qui a débuté au milieu des années 1970. Or, c’est sans doute cette croissance même qu’il convient de remettre en question aujourd’hui. Quel est le but aujourd’hui ? C’est l’absence de sens qui est en cause aujourd’hui, et qu’il faut réintroduire. Comment va-t-on changer notre monde pour avoir un niveau et surtout une forme d’activité qui ne conduise pas à la déprédation et au gaspillage des ressources ? Car nous savons tous, maintenant, qu’elles sont comptées et épuisables. C’est au service de tels objectifs que l’innovation doit être conçue et déployée. En favorisant la mise au point de produits et procédés économes en ressources premières essentielles comme l’eau, la biodiversité, les droits humains, etc. En éliminer tout ce qui n’est pas respectueux de l’environnement.


Pour cela, il ne faut pas refaire du nouveau avec de l’ancien, mais préserver notre harmonie avec notre environnement en allant bien au-delà des politiques de RSE actuelles, beaucoup trop timides.  La crise présente nous apprend que cet état de préservation relève du bien commun, de l’intérêt supérieur commun. Aujourd’hui, l’homme pourrait faire ce retour aux valeurs fondamentales avec conscience. Alors l’innovation serait toute différente, elle serait portée par des valeurs humanistes et non plus seulement par la seule et unique quête de la croissance, de l’avantage concurrentiel, du profit et de la performance. Bien sûr cela ne sera pas facile, car beaucoup veulent faire du Business as usual. Mais cette crise a apporté la preuve que ce qui était jugé comme impossible avant est devenu possible. Souvent en quelques jours.


Une création destructrice s’impose, et elle doit entendue comme la destruction du modèle actuel vers un modèle sensiblement différent. D’ailleurs, la notion de « krisis »  (« crise » en grec) renvoie à une alternative évidente : continuer comme avant ou changer de manière radicale ? Mais au service de quoi veut-on innover ? Faire croître la croissance ou bien la santé, le bien-être, le bonheur intérieur brut, le lien social, la biodiversité, la lutte contre le changement climatique. En Chine, le mot crise se dit Wei Ji, Wei signifie danger, et Ji force motrice. Cette crise, qui constitue un véritable danger, doit donc être une force motrice pour construire un monde différent. L’innovation doit donc s’inscrire dans un changement de paradigme, de modèle de société, de mode de vie, de modèle économique, social, environnemental, politique, etc. De nombreuses voies sont possibles:


-premièrement, elle peut être Bottom Of the Pyramid (BoP) : Pralahad (2004) développe l'idée qu’en ciblant les populations les plus pauvres (la base de la pyramide) avec des produits adaptés, on peut être plus efficaces tout en réduisant la pauvreté ;


-deuxièmement elle peut être Responsable, avec une utilité réelle, la capacité à répondre aux changements de la société, à anticiper ses impacts sur la planète et à inclure toutes les parties prenantes ;


-troisièmement elle peut être Frugale en répondant à un besoin de la manière la plus simple et efficace possible tout en utilisant un minimum de moyens.


Pour conclure, je rappelle que l’innovation des entreprises peut aussi porter sur l’adoption de nouveaux modèles économiques comme l’économie circulaire, sociale et solidaire, ou de fonctionnalité…. Enfin, je voudrais terminer sur le fait que l’innovation relève aussi d’un effort individuel de chacun d’entre nous. Nous avons tous accepté la privation de libertés essentielles pendant le confinement ; que représenteraient alors quelques petits efforts pour rendre nos consommations plus responsables et moins nuisibles à nos environnements ? L’innovation et la responsabilité sociétale sont deux notions que nous avons en partage avec les entreprises, ne l’oublions pas. Ces dernières sauront toujours s’adapter à nos exigences sociales…qui sont autant de stimuli de marché pour elles.


Publié le mercredi 29 avril 2020 . 7 min. 18

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