C’est le petit secret honteux du monde du journalisme : les classements des universités comme des écoles, de management comme d’ingénieurs, n’ont aucun sens. Mais ils sont quand même produits, année après année, parce que ça fait de l’audience. Et que l’audience, ensuite, ça permet de vendre des espaces publicitaires aux annonceurs.
Ceci on le pressentait puisque les dits classements reposent largement sur des éléments déclaratifs. Surtout, les travaux de Pierre-Michel Menger, Collège de France, l’ont démontré de manière définitive : 1) de manière balistique, ce qui fait le prestige, c’est la sélection à l’entrée. 2) Nul besoin d’aller chercher des moyennes de salaires de sortie et autres fariboles comme l’épanouissement étudiant ou l’engagement dans la transition écologique : les meilleures institutions, ce sont celles qui attirent les meilleurs étudiants de classes préparatoires, et les meilleurs étudiants de classes préparatoires, ce sont ceux qui ont les meilleures notes en mathématiques au concours d’entrée. Point. Fermez le banc.
Dans l’ordre, ça donne du côté des écoles de management HEC à la première place, ESSEC BS à la deuxième et l’ESCP BS à la troisième. Si l’EM Lyon a perdu sa quatrième place au profit de l’EDHEC, ce n’est qu’en raison des errements stratégiques qui ont conduit à vouloir augmenter les effectifs en ouvrant davantage l’accès aux admissions parallèles de son programme grande école pour augmenter ses effectifs et donc ses recettes, signe d’une baisse de la sélection, sanctionnée dès lors par une perte de prestige. La vapeur sera ici difficile à inverser.
Quand on les interpelle sur ce non-sens des classements, les journalistes répondent que si ces classements perdurent, c’est parce qu’ils font de l’audience, et donc répondent à une attente des parents. Notamment pour les institutions de milieu de tableau ou les écoles Post-bac. Ceci, en effet, on ne peut le nier.
Alors une proposition : puisque le guide Michelin sait classer les restaurants selon leur qualité et leur originalité en leur attribuant des étoiles, pourquoi ne pas faire de même avec les écoles ou les IAE en leur attribuant de même… des étoiles ? On aurait ainsi les institutions triple étoilées, double étoilées, étoilées… non étoilées. A défaut de se bagarrer de classements mimétiques en classements mimétiques pour savoir si telle école a gagné une place ou si telle autre en a perdu une, cela aurait le mérite d’apporter une assurance qualité aux étudiants au regard du coût de leurs formations.
La référence devenue courante à la triple couronne d’accréditations (EQUIS, AASCB, AMBA) montre que nous n’en sommes pas si loin. Le hic : aucune de ces institutions n’est française. Au mieux elle est Européenne avec l’EFMD (qui délivre EQUIS). Or, comme en cuisine, il y a bel et bien un art d’enseigner et de chercher avec sa culture nationale, comme il y a un art de la cuisine… Et la France n’est pas la moins réputée au monde en ce domaine.
Il est donc temps de passer à l’étape suivante :
1) Pour délivrer les étoiles, il est nécessaire de surveiller que les travaux de recherche menés par les chefs cuisiniers se retrouvent bien dans les plats dégustés par les étudiants et leur employabilité. A défaut, cela signifierait que le menu affiché ne serait que de la publicité… mensongère. Sur ce point, le doute est aujourd’hui permis.
2) Informer les parents et les étudiants, c’est délivrer de l’information aux marchés. Comme pour les marchés financiers, c’est chose trop sérieuse pour s’en remettre aux seuls intérêts de groupes privés avides de clashs et d’audience à commercialiser. Rappelons en effet que des familles y risquent leurs économies et que des étudiants y joue leur avenir, souvent à crédit. L’information doit donc être fiable et crédible. Cela suppose donc une autorité indépendante, comme pour les marchés financiers, capable de délivrer éventuellement des amendes, voire d’évaluer si des notations durablement trafiquées ne seraient pas constitutives d’un délit pénal...
3) Une telle institution, équivalente de l’AMF, existe en France pour l’enseignement supérieur et la recherche : c’est le Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES). Le HCERES évalue très régulièrement les établissements, écoles comme universités. Pourquoi ne se donnerait-il pas pour mission de surveiller aussi les journaux qui produisent ces classements ?
A cette proposition, on ajoute une dernière suggestion : pour garantir l’indépendance de l’évaluation de la recherche, une règle s’est partout imposée : recourir à des experts scientifiques étrangers. Pourtant, les universités, les IAE, les écoles de management ou d’ingénieurs ont comme débouchés premiers les entreprises. Pourquoi alors ne pas mobiliser aussi des professionnels, mieux susceptibles sans doute que des chercheurs d’évaluer l’impact réel des travaux qui donnent leur légitimité aux institutions ?
On se résume : fin des pathétiques classements façon « TOP 50 » / années 1980 élaborés sur la base d’informations douteuses… Elaboration à l’inverse d’un vrai guide Michelin crédible de l’enseignement supérieur… Voilà qui serait autrement plus utile pour la société que de laisser des journaux souvent mal informés s’imiter les uns les autres quand il s’agit de devoir élaborer des classements annuels d’établissements qui existent pour beaucoup depuis plus d’un siècle.
Publié le mercredi 10 mars 2021 . 5 min. 36
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