Xerfi Canal TV a reçu Jilani Djellalil, président de WillBe Group, qui a cosigné le livre « La transformation digitale » aux Editions Dunod avec Pascal Delorme. Il est vrai que beaucoup a été dit et écrit sur la nécessité de cette transformation digitale. Mais Jilani Djellalil – et c’est ce qui est particulièrement intéressant dans son livre - propose un modèle pour construire et piloter cette transformation digitale.
"Ma conviction est que cette transformation qui est non seulement globale mais surtout complexe doit être menée sur un rythme accélérée. Il ne s’agit plus de déployer un nouveau système d’information ou une nouvelle organisation, mais de mettre en mouvement toute l’entreprise. Non pas pour la projeter vers un futur ultra technologique mais bien de faciliter son adaptation à un présent qui mute à grande vitesse et qui challenge parfois très brutalement les modèles d’affaires. Les exemples ne manquent pas dans l’actualité récente.
Est-ce que vous pouvez nous présenter ce modèle brièvement ?
Je propose un modèle d‘inspiration sociologique et systémique qui a vocation à être enrichi. Son ambition est d’offrir une grille de lecture des ruptures et des forces en action et un cadre pour formuler les réponses au-delà des projets et initiatives déjà lancées. Il se compose de 5 dimensions regroupant chacune plusieurs composantes : le client et tout ce qui tourne autour des attentes et des usages, l’activité et les actifs stratégiques, le corps social et les collaborateurs, la culture et les règles de fonctionnement à l’intérieur de l’entreprise ou de l’organisation, et enfin le leadership comme une composante à part entière.
Nous allons revenir sur ces dimensions. Mais avant cela, que fait-on concrètement une fois que l’on a posé ce cadre ?
De nombreux projets digitaux sont lancés dans les entreprises et c’est une bonne chose. Je milite pour une digitalisation durable et compétitive. Elle réclame l’explication et le partage à tous les niveaux de l’entreprise des mécanismes de l’économie digitale. Chacun doit comprendre comment se construit une intermédiation ou une stratégie "full stack", ce qui fait l’agilité des champions digitaux, la puissance de leur modèle d’affaires et la radicalité de leurs approches.
Chacun doit être à même d’imaginer ce qui va changer et ce qui doit changer dans son activité.
Oui, pour les dimensions évoquées, il ne s’agit pas de digitaliser pour digitaliser, mais bien de construire des changements pertinents qui s’inscrivent dans une logique construite de transformation. Tout le monde doit avoir vu le film pour en écrire la musique et le portefeuille de projets doit être optimisé pour éviter toute perte de temps ou d’énergie. C’est le rôle de la gouvernance qui s’inscrit dans la dimension leadership.
Chacune des dimensions est en prise directe avec l’environnement. Il y a donc une réflexion à mener sur l’écosystème de l’entreprise…
Bien sûr, elle doit être permanente et doit intégrer plusieurs changements de paradigme à la fois, ce qui n’est pas toujours simple notamment dans des entreprises parfois excessivement silotées. Ce qui frappe le plus aujourd’hui, avec toutes les disruptions qu’on observe, c’est à quel point il y a plus de puissance à l’extérieur des organisations qu’à l’intérieur. Pour en profiter, la frontière de l’entreprise avec l’extérieur doit se perméabiliser rapidement, ce qui challenge forcément la culture et règles de fonctionnement.
Il s’agit donc de bien animer cet écosystème ?
Oui, en y intégrant parfois des acteurs auxquels l’entreprise n’a pas l’habitude de parler. Ce n’est donc pas si facile… Dans tous les cas, la logique d’ouverture doit prévaloir. Je conseille même aux entreprises de tenter l’expérience de partenariats avec ce qu’on appelle communément les GAFA : les 4 géants du digital (Google, Amazon, Facebook et Apple).
On en vient à la dimension « membership » de votre modèle qui concerne notamment les compétences, les attentes et les comportements au travail…
On ne peut plus avoir des collaborateurs moins digitalisés dans la sphère professionnelle que dans leur sphère personnelle, ou encore moins digitalisés que les clients dans leurs interactions. Par ailleurs, se pose le problème de ce qu’on pourrait appeler la mixité digitale en interne. Le digital n’est pas que l’affaire des digital natives. L’expérience la plus sympathique et sans doute la plus astucieuse est à mes yeux celle dite du reverse monitoring où l’on voit les plus jeunes initier leurs ainés aux nouveaux usages de la technologie. De nouveaux liens se tissent et de nouvelles postures se dessinent. Je crois personnellement beaucoup à l’intergénérationnel dans la transformation des entreprises
Et la dimension « Activité » ?
Cette dimension est complexe et intègre la chaine de valeur, les actifs stratégiques, les modèles d’affaire et l’innovation. Les GAFA, ont avec de nouveaux modèles d’affaires et l’utilisation poussée du mécanisme d’externalité positive, ouvert de nouveaux horizons et se sont mis en position de disrupter, avec le cortège des start-up qui sont dans leur sillage, n’importe quels secteurs d’activités, y compris ceux qui se pensaient à l’abri de barrières réglementaires, financières ou encore expérientielles.
On pourrait presque dire que la transformation digitale n’est pas une transformation technologique…
Oui, je souscris totalement à ce point de vue. Il n’en reste pas moins que les entreprises doivent réinvestir massivement dans la technologie et ce dans un contexte de déficit de compétences sur le marché. Il s’agit d’enrichir l’expérience utilisateur et de se rapprocher de lui. Or l’expérience utilisateur est aujourd’hui éminemment digitale, donc avec un substrat technologique fort.
Par ailleurs, la donnée client est devenue un actif stratégique qui se monnaie parfois très cher. J’accompagne aujourd’hui des entreprises sur des champs parfois très éloignées de leur cœur de métier. Elles "leverage", comme on dit, sur la bonne connaissance qu’elles ont de leur client.
Le métier ne doit donc plus se demander de quelles données il a besoin pour exercer son activité mais quelle donnée il va pouvoir collecter, comment il pourra l’enrichir pour consolider et étendre sa proposition de valeur et ouvrir de nouveaux espaces de développement.
Vous nous parliez en début d’interview de la 1ere dimension : le « customership » (ou relation client)…
Oui, et c’est le cœur de la transformation digitale. L’objectif est évidemment de répondre aux nouvelles attentes en termes d’usage et d’expérience mais pas seulement. Il faut également décoder et utiliser les nouvelles dynamiques collectives ou collaboratives à l’œuvre sur le web comme le phénomène des tribus pour proposer de nouvelles formes d’alliances avec le client. Les exemples ne manquent pas où l’on a des clients bénéficiant d’une très belle expérience qui deviennent des contributeurs ou des ambassadeurs. C’est clairement le cas d’une société comme Apple. L’entreprise doit les fédérer, les mettre en réseau et leur proposer de nouvelles formes de reconnaissance. Mais j’insiste sur un point : pour que la relation client soit solide, elle doit s’appuyer sur toutes les autres dimensions. Tous les piliers de l’édifice comptent.
Pour conclure : que diriez-vous à ceux qui seraient réticents à se lancer car le ROI de cette transformation digitale est incertain ?
Il faut bien avoir à l’esprit que la transformation digitale ne propose pas le passage d’un état A à un état B connu avec un ROI dont la formule de calcul est facile à approcher. C’est une rupture bien plus radicale qui comporte un grand nombre de boucles de rétroactions comme on dit en systémique. C’est pourquoi elle nécessite une feuille de route multidimensionnelle. Dans certains cas, le ROI ce sera parfois tout simplement l’indépendance, voire la survie. Je pense que la phase de scepticisme est derrière nous maintenant. Et c’est tant mieux. Maintenant, c’est la phase d’accélération qu’il faut réussir."
Jilani Djellalil, Feuille de route pour la transformation digitale, une vidéo Xerfi Canal TV
Publié le mercredi 30 septembre 2015 . 8 min. 58
D'APRÈS LE LIVRE :
La transformation digitale: Saisir les opportunités du numérique pour l'entreprise
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