Existe-t-il encore un programme politique de gauche en économie ?
Quels pourraient-être les ingrédients d’une alternative aux politiques économiques sociales-libérales ou néolibérales menées ces dernières années ? Deux livres prétendent répondre à cette question et méritent le détour : « Economie On n’a pas tout essayé ! » de Gilles Raveaud et « Une autre voie est possible » d’Eric Heyer, Pascal Lokiec et Dominique Méda.
Ils ont en commun de proposer un projet de réduction des inégalités sociales et de conversion écologique de l’économie. Cette écologie solidaire est cohérente à plus d’un titre : réduire les inégalités d’une société, c’est réduire l’empreinte écologique de chacun de ses membres, car le train de vie des hyper-riches coûte très cher à la planète tandis que les plus modestes sont privés d’une consommation de qualité et des moyens d’accéder aux économies d’énergie. Et l’acceptation sociale de la transition écologique est un défi dont l’importance n’est plus à démontrer. Mais leur projet suppose, pour que son équation soit bouclée, d’avoir recours à des financements européens exceptionnels, du type de ceux qui ont été mobilisés face à la crise financière. Et pour souhaitable que soit cette option, rien ne dit qu’elle finira par prévaloir. Ce qui n’empêche pas de l’examiner.
Ainsi, le premier virage recommandé est social : sortir de la déflation salariale et du travail, qui a échoué à restaurer la compétitivité de l’économie, et renforcer les protections des salariés, par exemple en réformant le CDD pour l’encadrer davantage, plutôt que de fragiliser le CDI. Ou encore recommencer à protéger les salariés du licenciement, par exemple en créant une obligation de mise en place d’activité partielle –c’est-à-dire de mécanismes de chômage partiel- en cas de plans sociaux.
Et pour sortir d’un rapport de force trop défavorable au travail, les auteurs s’appuient sur le principe constitutionnel du droit à l’emploi. Ce qui signifie, tout simplement, d’embaucher des chômeurs et, pour ce faire, de renouer avec les emplois aidés. Plusieurs options sont mises sur la table, comme celle de proposer un emploi d’intérêt social et écologique rémunéré au SMIC à tout chômeur de longue durée. Ou bien de créer un million d’emplois dans le secteur de la santé, des services sociaux, de l’accueil des personnes âgées et de la petite enfance, ce qui porterait leur effectif de 6 à 7 millions, un niveau comparable à celui des pays scandinaves. Voire, à terme, de remettre sur le tapis un processus de baisse négociée du temps de travail, pour compenser les gains de productivité à l’œuvre : une façon d’inverser la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée en créant des emplois.
Evidemment, une telle politique suppose de revoir nombre d’approches, notamment fiscales. Par exemple de taxer davantage le capital, et en particulier les gros héritages, car les inégalités de patrimoine sont bien plus grandes que celles de revenus. Ou de remettre à plat des niches fiscales coûteuses et inefficaces, telles le crédit impôt-recherche. Les deux livres recommandent aussi que les investissements publics soient exclus du calcul des déficits selon les normes européennes. Leurs auteurs semblent optimistes quant à la possibilité d’obtenir un tel aménagement. Mais c’est sans doute ici que se situe la véritable difficulté de leur proposition.
Car le deuxième virage, celui de la conversion écologique, a également un coût. Des pans entiers de l’activité, les plus polluants et les plus carbonés, doivent décroître ou se transformer tandis que d’autres doivent croître très vite, ceux liés aux transports collectifs et propres, aux énergies renouvelables ou encore à l’isolation des bâtiments. Pour y parvenir, des solutions sont avancées comme une taxe carbone sur la valeur ajoutée, favorisant notamment les circuits courts, et qui suppose de tenir une comptabilité verte. Mais il faut surtout un plan d’investissement massif dans les infrastructures, et dans l’accompagnement des « perdants » de cette transition : les auteurs soulignent en effet que cette facture dépasse les possibilités budgétaires de l’Etat, en France comme chez ses voisins.
Ils veulent donc l’engager en Europe, en créant un budget dédié qui atteindrait 10% du PIB européen, ou en mobilisant des outils de financement spécifiques comme cela a été fait lors de la crise financière, la BCE achetant in fine des centaines de milliards d’euros d’obligations vertes à très long terme pour boucler l’équation.
In fine, un accord européen est donc nécessaire. Et vu les difficultés que rencontrent les pays de l’Union à surmonter leurs divergences, il s’agit finalement de l’obstacle le plus sérieux au volontarisme exprimé dans ces projets alternatifs.
Publié le vendredi 25 janvier 2019 . 4 min. 51
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