La Chine peut-elle être piégée dans la « trappe des pays à revenu intermédiaire » c’est-à-dire rater la dernière marche de son ascension vers une économie développée, et en même temps de son influence économique et dans la gouvernance mondiale ? C’est la question posée par Mary-Françoise Renard. L’auteure décortique minutieusement les défis face auxquels la Chine doit faire face après des décennies spectaculaires de rattrapage économique : la montée en gamme de sa production, la soutenabilité de la croissance ou les immenses problèmes environnementaux… Le livre ne dit pas jusqu’à quel point l’Empire du Milieu saura relever ces défis. Mais son diagnostic, complet, éclaire les contradictions qui, de toute façon, pèseront sur les ambitions chinoises.
Depuis que le pays a amorcé son virage économique en 1978, le Parti communiste chinois a maintenu son emprise politique en échangeant le maintien de son régime autoritaire contre l’autorisation pour la population de s’enrichir. Et il a poussé tous les feux d’une croissance fondée sur l’investissement et les exportations. Cependant, ce pacte se lézarde depuis quelques années.
La fortune vite faite par quelques-uns, à côté du maintien d’inégalités fortes entre régions côtières et intérieures suscite des mouvements de protestation. De même que l’appropriation des terres à prix bradé. La pollution de l’eau et de l’air se maintient à des niveaux difficilement supportables. De plus, Chine connaît la fin de son « dividende démographique » -sa main d’œuvre disponible diminue depuis 2010- en même temps que sa population commence à vieillir.
Autant d’évolutions qui ont déjà conduit le régime à adapter son modèle : le « 13è plan » 2016-2020 affiche des objectifs qualitatifs : réduire les fractures territoriales et la pollution, engager la transition énergétique, investir davantage dans l’éducation, développer la protection sociale, réformer le système bancaire et les entreprises d’Etat, internationaliser davantage la monnaie et les liens économiques par la fameuse « route de la soie »… Pour l’auteure, des changements sont « notables » et « certains rééquilibrages sont déjà à l’œuvre ». De plus, un programme « très ambitieux » appelé « Made in China 2025 » est à l’œuvre depuis 2015 pour booster la montée en gamme de l’économie vers les biens et les services à forte valeur ajoutée.
Mais la tâche est encore immense et la route de l’économie chinoise ressemble de plus en plus à un chemin de crête.
La Chine veut privilégier la consommation ? Oui, mais l’auteure souligne que l’épargne des ménages restera abondante car la protection sociale et la redistribution demeurent insuffisantes pour limiter l’épargne de précaution des Chinois, y compris pour leurs vieux jours.
Son ambition est de monter en gamme dans l’industrie et les services ? Oui, mais le système financier ne répond pas aux besoins des entreprises privées, qui ont des difficultés à accéder au crédit, si bien qu’une dangereuse « finance de l’ombre » a pu ici aussi prospérer. Et l’explosion du nombre de brevets déposés à la suite du lancement de « Made in China 2025 » ne se traduit pas, jusqu’ici, par une hausse de la productivité telle qu’elle avait été observée précédemment par les transferts de technologies étrangères.
Faire converger les niveaux de vie ? Oui, mais ce sont dans les provinces que les activités manufacturières à bas salaires se sont transférées, permettant de maintenir la compétitivité des exportations. Et le système éducatif et de santé reste encore à la campagne d’une faible qualité….
Sortir d’un mode de production extrêmement polluant et préserver l’eau, l’air et les terres ? Oui, mais cette transition pèsera sur la croissance. Et 300 millions de ruraux devraient affluer vers les villes dans les trente prochaines années….
Les paradoxes sont donc nombreux. Ils se reflètent aussi dans les modalités de l’influence internationale de la Chine, que ce soient par ses Routes de la Soie, d’abord fondées sur la construction d’infrastructures, ou dans la proclamation de son attachement au libre-échange et au multilatéralisme face aux attaques de Donald Trump.
Alors que le régime serre la vis des libertés publiques et met en place massivement de nouvelles techniques de surveillance et de notation de la population, l’auteure met aussi en garde : « On peut craindre une dictature digitale ». On peut finalement se dire que cette réponse autoritaire sonne aussi comme un aveu de faiblesse du régime face aux défis qu’il doit relever.
Publié le lundi 21 janvier 2019 . 4 min. 34
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