La Turquie fait beaucoup parler. Mais derrière le son du canon il y a aussi une économie et cette économie ne fait plus rêver. Les derniers chiffres montrent pourtant le retour de la croissance après un épisode difficile en 2018 où durant trois trimestres consécutifs le PIB a reculé, faisant entrer le pays en récession. L’inflation, véritable fléau de l’économie turque, semble jugulée. Elle est repassée sous la barre des 10% pour la première fois depuis juillet 2017, après un pic à plus de 24% en septembre et octobre 2018.
Ce reflux a permis à la banque centrale d’assouplir sa politique monétaire et cerise sur le gâteau, les excédents courants sont de retour, une première depuis 2002. Le pays semble donc s’extraire de l’épisode de stagflation qui a coupé net son élan en 2018. Mais le diable se cache dans les détails. La croissance est à nouveau là, c’est indéniable, mais elle est en grande partie artificielle, car dopée par un vaste plan de dépenses publiques : chantier titanesque de l’aéroport d’Istanbul qui sera à terme le plus grand du monde pour un coût total de 9 milliards d’euros. Ce chantier s’inscrit dans une série de grands travaux comme la construction du 3ème pont sur le Bosphore pour une enveloppe de 800 millions d’euros ou du pharaonique palais présidentiel et d’autres mégaprojets comme le percement d’une voie maritime artificielle de 43 km parallèle au détroit du Bosphore font partie de l’agenda du président Erdogan. A cela s’ajoute aussi l’envolée des dépenses d’armement. Toutes ces dépenses ont bien entendu un coût et ont plombé les finances publiques.
Proche de l’équilibre en 2011, le solde budgétaire a viré au rouge vif et est passé en quelques années de moins de 1% du PIB à plus de 3% en 2018 et devrait s’approcher des 4,6% en 2019 selon les estimations du FMI. De même, en arrière-plan de la poussée puis du reflux de l’inflation, il y a une instabilité chronique du change. Les prix à la consommation se sont envolés en septembre et octobre 2018, rappelons-le, après que la livre turque se soit effondrée à la suite d’un tweet de Donald Trump, menaçant le pays d’appliquer des surtaxes à l’acier et l’aluminium importés aux États-Unis. Quant au retour des excédents courants, il ne faut pas se tromper sur le sens à donner à l’amélioration, car ce n’est pas tant l’accélération des exportations que le reflux des volumes importés, dans le sillage de la dépréciation du pouvoir d’achat de la livre turque l’an dernier, qui en est à l’origine. Un reflux lié en partie à la faiblesse de la consommation et de l’investissement des entreprises. Quant à la bonne nouvelle, du retour des touristes et du boum des recettes touristique qui l’accompagnent, il faut désormais s’attendre à un sérieux décrochage, compte tenu du contexte géopolitique du pays.
Bref, il faut considérer les excédents courants comme temporaires. Si le contexte géopolitique, va plomber l’économie à court terme, il va surtout révéler les faiblesses structurelles d’un pays qui a un besoin impératif des investisseurs étrangers. La croissance turque, comme celle de beaucoup de pays émergents, repose sur l’afflux de capitaux. Les investissements directs étrangers ont explosé à partir de 2002 pour représenter plus de 20 milliards de dollars avant la grande récession et sont au cœur du décollage de l’industrie manufacturière avec des points forts dans le textile, l’électroménager ou l’automobile. Avec ce bémol, c’est la partie à faible valeur ajoutée (généralement l’assemblage) qui est localisée en Turquie. C’est symptomatique d’un pays-atelier, donc dépendant de donneurs d’ordres étrangers : sa production intègre beaucoup de composants importés et, à défaut, se limite à des produits bas de gamme et peu sophistiqués. Les exportations de haute technologie telle que l'aérospatial, l'informatique, les produits pharmaceutiques, les instruments scientifiques, représentent 2,5% du total des exports de produits manufacturés du pays, un niveau très faible, nettement inférieur aux autres grands émergents, notamment la Chine. Ce manque de valorisations des exportations se retrouve dans la balance courante qui a accumulé les déficits depuis 2002.
En clair, la croissance Turque repose sur l’épargne étrangère donc sur la confiance. Pour trouver des financements extérieurs, il y a les IDE, sauf qu’ils ne couvrent en moyenne que 30% du déficit courant depuis 2010. Le pays doit donc largement faire appel à la « hot money », ces capitaux très volatils à l’affût des meilleurs rendements. Des capitaux qui ont 1- horreur de l’instabilité politique 2- horreur des conflits. Autant dire que le face à face entre la Turquie et la Syrie pourrait rapidement mettre l’économie turque au supplice via une violente crise de change, avec comme conséquence un retour de l’inflation importée, une défiance des investisseurs, la fragilisation des entreprises, nombreuses à s’être endettées en dollars et l’engloutissement des réserves officielles de change par la banque centrale pour endiguer la chute de la Livre. Et il faut bien l’avouer, la probabilité d’un tel scénario se renforce.
Publié le mardi 29 octobre 2019 . 5 min. 02
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d'Alexandre Mirlicourtois
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