Faut-il privatiser Aéroport de Paris, et plus généralement les grandes infrastructures ? Et à quelles conditions l’Etat, peut-il sortir gagnant d’une telle opération ? D’un point de vue théorique, il a les moyens de s’en tirer à bon compte. Il lui faut simplement fixer un prix de vente adéquat. Ce prix est censé correspondre aux dividendes actualisés que rapportera à l’avenir l’infrastructure privatisée. Certes, s’agissant de monopoles, il existe un risque de dégradation du service et de hausse des prix, comme l’enseigne la théorie économique. Mais ce risque peut être contrecarré par une régulation bien pensée, un cahier des charges suffisamment précis fixé par l’Etat, affirme également la théorie.
L’illusion du cahier des charges
Le vrai problème, c’est qu’en pratique, l’Etat est rarement en mesure d’établir un tel cahier des charges, suffisamment pérenne. C’est possible pour des infrastructures assez standardisées, comme l’alimentation en eau d’une ville moyenne. Dans ce cas, il existe de nombreux retours d’expérience, qui permettent d’établir de bons contrats. C’est possible également sur le court terme, les besoins sont alors prévisibles, mais on ne va pas privatiser un aéroport pour cinq ans. En revanche, pour ce qui concerne les grandes infrastructures, concédées sur de longues périodes, l’Etat et les collectivités locales sont incapables d’anticiper correctement. Et donc, le plus souvent, le cahier des charges initial n’est pas respecté, aussi bien en ce qui concerne les prix que les services rendus.
C’est ce que montrent les nombreux exemples de partenariat public-privé. S’agissant des prix, l’entreprise gestionnaire trouve souvent des failles juridiques pour augmenter ses tarifs plus que prévu. Le risque est clairement identifié s’agissant d’Aéroport de Paris. Comme l’organisation internationales compagnies aériennes, l’IATA, l’a relevé récemment, tous les aéroports privatisés imposent des redevances biens supérieures à celles des plateformes publiques.
Quant à l’État, il demande le plus souvent d’ajouter de nouveaux services, au-delà de ce qui a été initialement programmé. Des services qui ne seront évidemment pas gratuits. Il se trouve dans la situation du propriétaire d’un logement réalisant des travaux, qui demande à l’entrepreneur d’abattre une cloison de plus : il y aura un supplément à payer, et il ne sera pas forcément négligeable.
L’exemple le plus flagrant est celui des autoroutes, privatisées par le gouvernement Villepin, en 2005. La limite entre les investissements à réaliser par les compagnies autoroutières et ceux qui restent à la charge de l’Etat n’a pas été clairement tracée. Du coup, chaque dépense supplémentaire fait l’objet d’une négociation, entre la puissance publique, souvent bien impuissante, et les sociétés autoroutières. Comme l’a relevé l’Autorité de la concurrence, de nombreux investissements ont été payés par l’État, sans justification réelle.
ADP, une privatisation à haut risque
Les dérogations fiscales obtenues par les sociétés d’autoroute sont une autre preuve, au passage, du déséquilibre des pouvoirs en leur faveur : alors que l’ensemble des entreprises opérant en France ont vu la déductibilité des intérêts d’emprunt limitée, les sociétés autoroutières échappent à cette règle.
On a vu un autre exemple d’un Etat contraint de payer le prix fort avec le site de Balard regroupant les Etats-majors des armées. Bouygues qui en est le gestionnaire a ainsi pu réclamer 14.000 euros au ministère de la Défense pour installer une imprimante non prévue dans le schéma initial.
Compte tenu de ce contexte général défavorable à l’Etat, les conditions ne semblent pas réunies pour un succès dans le long terme de la vente d’Aéroport de Paris. Celle-ci serait d’autant plus risquée qu’il s’agit d’un actif stratégique : si le nouveau gestionnaire entravait par ses tarifs le développement du hub de Paris, ce serait un coup porté à l’attractivité et la compétitivité de l’économie française.
Mais l’exécutif a semble-t-il décidé de passer outre, voulant à tout prix relancer la politique de privatisation.
Publié le mardi 03 juillet 2018 . 3 min. 51
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