Xerfi Canal présente l'analyse de Maïté Jauréguy-Naudin, directrice du Centre Energie de l'Ifri
Maïté Jaureguy-Naudin a publié deux articles :
- "The European Power System - Decarbonization and Cost Reduction: Lost in Transmissions?", Note de l'Ifri, janvier 2012. En savoir plus
- "Une électricité européenne sobre en carbone : l'impasse ?", Politique étrangère, n°1/2012. En savoir plus
Immédiatement après la catastrophe de Fukushima, l’Allemagne a annoncé sa volonté de sortir du nucléaire. A la suite de la décision allemande de nombreuses voix se sont élevées en France pour remettre en cause le choix du nucléaire : l’exemple allemand ne serait-il pas à suivre ?
Mais le problème est d’emblée mal posé. Il ne s’agit pas en effet d’être pour ou contre le nucléaire mais bien de déterminer un bouquet de production d’électricité qui permette de satisfaire les trois enjeux fondamentaux de toute politique énergétique : garantir la sécurité des approvisionnements, maîtriser les coûts et lutter contre le changement climatique. Tout cela dans un contexte où l’existant joue un rôle fondamental, la durée de vie des moyens de production s’étalant sur plusieurs années.
Ceci étant dit quels sont les choix qui s’offrent à nous pour produire de l’électricité ? La France ne possède pas ou peu de ressources fossiles. Augmenter la part des énergies fossiles dans la production d’électricité suppose donc de recourir à des importations massives de gaz et/ou de charbon. Le gaz émet trois fois moins de gaz à effet de serre que le charbon et est un choix qui parait de ce fait plus évident, mais qui devra être pesé à l’aune de la sécurité des approvisionnements énergétiques français et du coût induit. En 2011, le Japon a affiché pour la première fois depuis trente ans un déficit de sa balance commerciale. Les importations massives de gaz pour remplacer la production d’électricité nucléaire sont un des facteurs qui expliquent ce nouveau déséquilibre. L’hydroélectricité présente un potentiel très limité, la plupart des sites sont déjà exploités. Reste les nouvelles énergies renouvelables, éolien et photovoltaïque. Le bilan du développement de ces énergies intermittentes est plutôt mitigé. L'Espagne qui a fait le choix de diminuer significativement la part du nucléaire, a certes développé des filières éolienne et photovoltaïque, mais a aussi augmenté fortement sa dépendance gazière. La part du gaz dans la production d'électricité est passée en vingt ans de moins de 1 % à 31 %. Parallèlement les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de moitié sur la même période. L'Allemagne et le Danemark, pays leaders des énergies vertes, sont aussi parmi les pays les plus émetteurs de l'Union Européenne. Le coût de l'électricité pour les ménages y est 2 fois plus élevé qu'en France.
La sortie du nucléaire allemande s’accompagne d’un plan très ambitieux qui met l’accent sur la réduction de la consommation d’énergie primaire et d’électricité. Ce n’est pas si facile à réaliser et a un coût qui se cache dans les normes à mettre en place pour favoriser la diffusion de produits plus économes. Le succès de politiques de maitrise de la consommation d’énergie repose aussi sur des changements de comportements, lents à se mettre en place. Par ailleurs, l’Allemagne compte poursuivre un développement agressif des énergies renouvelables. Mais pour que l’électricité produite en mer du nord soit acheminée vers les régions consommatrices principalement situées au sud, il faudra que l’Allemagne réussisse à construire des lignes de haute tension qui font face à des oppositions locales très fortes. Enfin, l’Allemagne n’est déjà plus un exportateur d’électricité et devra recourir dans les 5 années qui viennent à des importations. Sortir de cette situation de dépendance, que le pays ne saurait tolérer, implique de développer des sources d’énergie alternatives dans le court terme. Les seules disponibles sont le gaz et le charbon. On peut donc raisonnablement s’interroger sur la capacité allemande à sortir du nucléaire à l’horizon 2022 sans augmenter significativement ses émissions de gaz à effet de serre.
Cette décision a aussi un impact sur les pays voisins. D’abord, parce que le couplage des marchés de l’électricité permet à l’Allemagne de mutualiser les coûts. Ensuite parce que l’Allemagne aura tout intérêt à pousser à la réalisation des corridors verts, ces interconnections électriques qui pourraient permettre de transporter l’électricité à travers toute l’Europe. Dans cette hypothèse, l’électricité nucléaire française, indispensable à moyen terme pour stabiliser le réseau européen, serait fragilisée au-delà de 2025 dans un contexte où une forte pénétration de renouvelables diminuerait la rentabilité de nouvelles centrales nucléaires et où la production d’électricité nucléaire peu flexible serait mal adaptée à ces nouveaux équilibres. La France ne peut donc s’affranchir d’une réflexion sur la diversification des sources de production d’électricité au détriment peut-être de la lutte contre le changement climatique.
Maïté Jauréguy-Naudin, Politique énergétique : l’impasse franco-allemande, une vidéo Xerfi Canal
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