Penser les régulations économiques et financières autrement
Michel Aglietta s’est éteint. Depuis près de vingt ans, nous avions la chance, à Xerfi Canal, de l’accueillir régulièrement. Il répondait toujours présent, avec générosité, exigence, rigueur — et parfois cette rugosité légendaire qui n’était jamais gratuite, mais au service d’une pensée précise et structurée.
Le capitalisme comme ordre historique instable
Il fut l’un des grands penseurs critiques de l’économie contemporaine. Co-fondateur, avec Robert Boyer, de l’École de la régulation, il a profondément renouvelé notre compréhension du capitalisme. Un capitalisme qu’il ne réduisait ni à un marché ni à un modèle optimal, mais qu’il analysait comme un ordre institutionnel toujours instable, traversé de crises, de compromis sociaux, d’évolutions historiques, dans le sillage de Fernand Braudel. À rebours de la pensée standard, il a réintroduit dans l’économie les conflits, les rapports de force et le temps long.
La monnaie, confiance et violence
Sa pensée sur la monnaie fut l’un de ses apports majeurs. Stimulé par René Girard, notamment de la théorie du bouc émissaire, elle a donné lieu à La violence de la monnaie, coécrit avec André Orléan. Il y montrait que la monnaie n’est pas un instrument neutre, mais un fait social total, fragile, car fondé sur la confiance collective. Quand cette confiance vacille, c’est la violence symbolique, voire réelle, qui surgit. Une analyse précieuse aujourd’hui, alors que les fondements géopolitiques de l’ordre monétaire et de la finance sont à nouveau ébranlés par les errements du Président américain.
Une vision lucide de la finance mondiale
Car Michel Aglietta fut aussi un expert reconnu de la finance internationale. Il a très tôt diagnostiqué les déséquilibres du système monétaire global, les dérives de la finance libéralisée et les tensions croissantes entre interdépendance économique et souveraineté politique. Avant la crise de 2008, il en avait vu venir les causes. Après, il a pensé les voies d’une régulation nouvelle, associant stabilité macroéconomique, transformation productive et transition écologique.
Une leçon d’indépendance intellectuelle
Son œuvre est un appel à penser l’économie comme un système dynamique et vivant, sans lois éternelles, traversé par les conflits, les rapports sociaux, les mutations technologiques, les institutions. Elle invite à sortir des automatismes intellectuels, à relier les faits à leurs conditions historiques, et à construire des diagnostics ouverts. À l’heure où la pensée économique tend trop souvent instrumentalisée, la leçon d’Aglietta reste plus que jamais d’actualité : comprendre pour ne pas subir.
Laurent Faibis, Fondateur de Xerfi
Publié le mardi 29 avril 2025 . 0 min. 59
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