Pour les restaurateurs, les ennemis sont bien identifiés : télétravail, inflation alimentaire, grandes surfaces et autres points de vente proposant du « snacking ». Dernier point de crispation en date, l’utilisation des titres restaurant par les 5,4 millions de salariés qui en bénéficient. Ces titres, financés à 55% par les employeurs et 45% par les salariés, représentent un chiffre d'affaires global de 9,4 milliards d'euros. Le hic, c’est que les restaurateurs n’en sont plus les premiers bénéficiaires. Aujourd’hui, les assimilés (dans le jargon, ce sont les autres métiers de bouche) et les grandes surfaces alimentaires captent environ 60% de ces flux financiers. Le véritable fond du problème se trouve dans la montée de la part de la grande distribution, qui pourrait bien devenir le premier réceptacle de cette manne. Pour les restaurateurs, c’est un détournement de la fonction première des titres-restaurant, transformés en « titres-caddy ».
Une fréquentation en chute libre
S’ils sont très mécontents, c’est que la fréquentation de leurs établissements est en berne, inférieure de 17% à l’avant-Covid, ce qui pèse sur leur chiffre d’affaires. Il faut toutefois replacer cette tendance dans un temps long avec un raccourcissement du temps de pause déjeuner, passé de 1h38 en 1975 à 38 minutes en 2019. Ce seuil critique rend difficile la fréquentation de certains circuits de la restauration commerciale. L’intensification des rythmes de travail et des journées plus denses ont réduit le temps alloué aux pauses. De plus, l’allongement des trajets domicile-travail, notamment dans les grands centres urbains, a contraint nombre de salariés à compresser leur temps de repas pour compenser les déplacements quotidiens.
Le télétravail, catalyseur d’une tendance préexistante
La montée du télétravail à la suite de la crise sanitaire n’est donc qu’un accélérateur d’une tendance bien ancrée de baisse de la fréquentation des restaurants le midi. Aujourd’hui, environ 13% des journées sont télétravaillées, soit cinq fois plus qu’en 2019. En d’autres termes, plus de 500 millions de repas se sont déplacés vers le domicile par rapport à 2019, représentant environ 10% du marché. Le manque à gagner est d’autant plus grand pour la restauration commerciale que le télétravail touche particulièrement les cadres, cœur de leur clientèle. À cela s’ajoutent des comportements alimentaires moins favorables : des plats en direct plutôt que le traditionnel entrée-plat-dessert, moins de vins et d’alcools consommés, ce qui fait baisser le ticket moyen. C’est la double peine.
Le poids de l’inflation alimentaire
Puis il y a l’inflation alimentaire. Le budget « alimentation » englobe les achats pour les repas à domicile et ceux pris hors domicile. Entre 2021 et 2024, les prix de l’alimentation auront grimpé de 21%, et ceux de la restauration de 13%, soit plus que les salaires. Le pouvoir d’achat alimentaire est attaqué, et les coupes budgétaires se font sur les postes les plus onéreux, notamment la restauration. Le budget des Français pour la pause-déjeuner est serré : à peine plus de 16% d’entre eux déclarent dépenser plus de 9 € par jour en moyenne, un budget correspondant à peine à un plat du jour dans un restaurant en province. La valeur faciale moyenne des titres-restaurant à 8,75 euros apparaît donc insuffisante pour couvrir le coût réel d'un repas équilibré, estimé entre 12 et 19 euros selon les régions et les types de restauration.
Pour la restauration commerciale, c’est la quadrature du cercle : attirer une clientèle de plus en plus sensible aux prix tout en maintenant une offre qualitative dans un contexte de hausse structurelle des coûts des matières premières. Les repas en salle, jadis accessibles, deviennent un luxe, posant une question fondamentale : et si le modèle de la restauration traditionnelle était définitivement dépassé ? L’avalanche record de défaillances dans le secteur doit alerter sur la fragilité de la restauration, notamment le midi. Or, il s’agit bien d’une exception culturelle à préserver.
Publié le jeudi 09 janvier 2025 . 4 min. 48
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de Philippe Gattet
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