Xerfi Canal présente l'analyse de Thomas Gomart, directeur du développement stratégique de l'IFRI.
Thomas Gomart a publié un article paru dans la Revue des deux mondes de janvier 2012 : "Vladimir Poutine : mâle dominant de toutes les Russies?"
La victoire de Vladimir Poutine est nette, mais elle ne s'est pas faite sans bavures. Avec plus de 63% des suffrages au premier tour, l'actuel chef du gouvernement apparaît toujours comme le mâle dominant de la vie politique russe. En réalité, cette phase électorale vient de révéler les profondes et brusques évolutions des rapports entre l'appareil d'Etat et la société russe. On se pose désormais la question suivante : la « verticale du pouvoir », incarnée par Vladimir Poutine, est-elle adaptée à la fulgurance des réseaux sociaux ? Probablement pas. Plus profondément, le style Poutine, mélange unique de détermination, de cynisme et de communication est-il susceptible d'accompagner la « modernisation » de la Russie ? Agé aujourd'hui de 60 ans, l'homme ne bénéficie plus de l'effet de surprise qui a contribué à ses premiers succès.
Poutine III va devoir apprivoiser le web s'il veut parvenir à la fin de son troisième mandat présidentiel, prévue en 2018. Notre focalisation excessive sur Vladimir Poutine a eu pour effet de négliger les transformations extrêmement profondes de la société russe, au premier rang desquels le taux de pénétration d'Internet en Russie. Deux chiffres pour s'en convaincre. En septembre 2011, la Russie a dépassé l'Allemagne en termes de visiteurs uniques. En 2015, le numérique pourrait représenter 5% du PIB russe contre 2,1% en 2009. Cette année-là, le développement des technologies de l'information et de la communication était présenté comme un chantier prioritaire par Dmitri Medvedev. Ce dernier a essayé de se construire une image de geek pour se différencier de son mentor, mais il s'est vite heurté à l'ironie mordante du web. Après l'annonce de leur arrangement en septembre 2011, les deux têtes de l'exécutif ont été respectivement affublées sur Twitter des mots clés « pathétique » et « botox ».
C'est que le web sert d'abord, en Russie peut-être plus qu'ailleurs, à railler le pouvoir en place. La majorité des internautes russes se désintéresse de l'action politique directe, mais trouve sur la toile un espace public intermédiaire permettant d'exprimer des jugements à l'emporte-pièce. Parallèlement, le web sert aussi de canal de mobilisation pour dénoncer la corruption ou l'incurie des autorités, en particulier au niveau local. C'est par ce biais qu'Alexeï Navalny a émergé pour devenir un des principaux opposants de Vladimir Poutine. Agé de 35 ans, cet avocat-bloggeur n'a eu de cesse de dénoncer Edinaya Rossiya comme le « parti des escrocs et des voleurs ».
Cette dénonciation en règle du « système Poutine » s'est traduite par une série de manifestations après les élections législatives de décembre. Elle a mis en évidence la polarisation qui existe aujourd'hui entre médias télévisés, contrôlés par les autorités, et nouveaux médias. S'il veut se maintenir au pouvoir et stopper l'érosion de son socle de popularité, Vladimir Poutine va devoir trouver des réponses politiques. Le contrôle indirect du web, par le biais notamment de mouvements capitalistiques, sera un dossier à suivre attentivement pour anticiper les évolutions du régime.
Reste enfin à percer les ressorts psychologiques de Poutine III. Pour lui, il s'agit sans doute de laisser une trace dans l'histoire russe, tout en assurant ses arrières. Poutine, c'est avant tout l'homme du redressement international de la Russie et de la croissance liée à la rente énergétique. Arrivé au pouvoir suprême en 2000, il a mis en place un système destiné à le maintenir au pouvoir jusqu'en 2024. Il se croyait porté par une « génération Poutine » fière du redressement national. Il est aujourd'hui critiqué pour son immobilisme. C'est pourquoi l'horizon 2024 semble désormais hors d'atteinte pour Poutine. Clé de voûte d'un système oligarchique corrompu, il n'incarne plus l'élan modernisateur. Il devrait donc sur-jouer le rôle du stabilisateur indispensable.
Poutine III va retrouver son trône, mais il se pourrait bien que le « temps des troubles » revienne plus vite que prévu si le « leader national » ne comprend pas que l'Etat n'est plus tout en Russie. Lentement mais sûrement, la société russe poursuit son apprentissage politique. C'est pourquoi les six prochaines années sont autant porteuses de risques que d'oopportunités.
Thomas Gomart, Poutine III à l'épreuve du web, une vidéo Xerfi Canal.
Compte Twitter de Thomas Gomart : @ThomasGomart
http://www.ifri.org/
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