
Le poids écrasant des géants
Lorsqu’une entreprise devient trop grande, elle transcende souvent les règles censées la réguler. Le scandale Enron, la crise financière de 2007-2008, ou plus récemment les pratiques monopolistiques des géants technologiques montrent un pattern inquiétant : la justice semble impuissante face à ceux qui dictent les règles de l’économie mondiale.
Un système juridique à géométrie variable
Oliver Williamson (1975), prix Nobel d’économie, nous rappelle que l’entreprise n’est pas soumise aux mêmes lois que l’individu. Fonctionnant comme une entité autonome, elle résout ses conflits à l’interne et édicte ses propres normes. Elle est « sa propre cour d’appel » nous dit Williamson. Une « justice parallèle » s’y exerce donc puisque comme le propose Romain Laufer (2003), professeur émérite à HEC Paris, « le management qui y est pratiqué constitue un système quasi-juridictionnel ». Autrement dit, les contrats sont moins des garanties légales que des outils transactionnels, laissant la porte ouverte à l’arbitraire.
L’impunité comme modèle
L’impunité des grandes entreprises repose sur leur capacité à manipuler les frontières entre le légal et l’économique. Comme dans une mafia, elles mobilisent des règles informelles pour garantir leur cohésion et leur efficacité, tout en échappant aux qualifications juridiques traditionnelles. Les cartels, les pratiques anti-concurrentielles et les montages fiscaux sophistiqués ne sont pas seulement des anomalies mais des stratégies parfaitement maîtrisées.
Quand l’éthique supplante le droit
Faut-il alors se résoudre à accepter ces dérives ? Certains avancent que l’action collective, le boycott ou la pression citoyenne, peut réussir là où le droit échoue. Cependant, ces initiatives peinent à rivaliser avec la puissance des lobbies. L’élection pour un nouveau mandat de Donald Trump aux Etats-Unis qui lui permettra d’échapper à la prison est aujourd’hui le symptôme le plus spectaculaire d’une véritable crise de droit et de la justice.
Conclusion : le droit, dernier rempart ?
Si l’entreprise continue d’opérer dans cet espace hybride entre pouvoir et non-droit, les conséquences pour nos sociétés pourraient être dramatiques : déséquilibres économiques, érosion de la confiance dans les institutions, explosion exponentielle des inégalités. Repenser la frontière entre le légal et l’économique n’est plus une option mais une nécessité. Car, au final, une société qui permet l’impunité de ses acteurs les plus puissants signe d’abord son propre déclin.
Références
• Laufer, R., & Hatchuel, A. (2003). Le libéralisme, l’innovation et la question des limites. Paris : L’Harmattan.
• Williamson, O. E. (1975). Markets and Hierarchies: Analysis and Antitrust Implications.
Publié le mercredi 22 janvier 2025 . 3 min. 08
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