S’il y a bien une ressource en voie de raréfaction dans nos vies modernes, c’est le vide. Ce vide que nous fuyions naguère est soudain devenu un luxe. Regardez autour de vous : tout est fait pour combler, remplir, saturer. Nous sommes étouffés par le trop-plein d’informations, d’objets, d’engagements, de notifications. Tout est conçu pour nous distraire du vide, pour nous faire croire que l’existence peut être un flux ininterrompu de contenus, d’activités et de plaisirs. Nous ne vivons plus avec le vide, nous le fuyons. Et dans cette fuite, nous consommons frénétiquement : des expériences, mais aussi des relations, des idées, et même des causes. Et ce trop-plein nous épuise. Si bien que le vide est devenu une denrée rare, presque exotique. A tel point qu’il est monétisable à en croire cette start-up californienne qui facture 50 dollars l’heure pour louer un espace vide, c’est-à-dire dénudé, insonorisé où il est enfin possible de ne rien faire. Mais le vide n’est pas le rien, bien au contraire.
Pourquoi alors avons-nous autant de mal à créer ce vide nous-mêmes ? Parce que nous avons perdu l’habitude d’être seuls avec nous-mêmes. Alors on le fuit, ou pire, on le délègue. Et pourtant, le vide est la condition même de la création. Qu’est-ce qu’une pause musicale sinon une suspension qui donne tout son sens à la mélodie ? Le vide n’est pas absence, mais possibilité. C’est dans le vide que naît l’imagination, que se creuse le désir, que se préparent les grands élans créatifs. Le sentiment de liberté se paie d’un sentiment du vide par contraste avec le poids de la contrainte. Le vide n’est pas un fin en soi bien sûr, mais ce à partir de quoi les formes qui constituent notre monde s’organisent. Mais pour que le vide devienne fertile, encore faut-il le regarder en face, l’accepter, et, surtout, lui faire une place. Et accepter qu’il est vide une ressource et non un manque. Avec Le Vide qui est en nous , la philosophe Hélène L’Heuillet nous invite à réapprendre à vivre avec ce vide que nous craignons tant, mais qui pourrait bien être la clé pour réinventer notre rapport à nous-même, au travail, à l’argent et à la consommation.
Le vide, c’est ce qui nous panique. Il évoque le manque, l’insuffisance, l’angoisse de l’insignifiance. Dans une société qui valorise l’efficacité, le bruit et la vitesse, le vide devient l’ennemi à abattre. Il faut produire, accumuler, exhiber. Chaque espace vide, qu’il soit physique ou mental, doit être comblé. Cette peur viscérale du vide est d’ailleurs au cœur de notre frénésie consumériste. Nous surchargeons nos journées d’activités, convaincus que chaque instant doit être productif. Pourtant, laisser volontairement des plages de vide peut transformer notre perception du temps. Une après-midi sans rendez-vous devient une invitation à la flânerie ou une échappée mentale vers d’autres horizons. L’enjeu, selon L’Heuillet, n’est pas de remplir moins, mais de remplir autrement. Elle appelle à une rupture avec cette logique consumériste qui fait du vide une peur panique à étouffer à tout prix. Mais attention, il ne s’agit guère de ranger sa chambre pour se séparer du superflu mais d’être plus attentif au vide qui est en nous pour apprendre à désirer différemment. Ainsi ces moments où l’on s’autorise à ne rien faire. L’Heuillet distingue d’ailleurs deux types d’inactions : « ne rien faire », qui consiste à passer sa vie sans s’en sentir concerné, et « rien faire », qui est une forme d’activité intérieure et créative. Ainsi, l’enfant qui construit une cabane ou joue la comédie ne fait pas rien, mais s’occupe à des riens.
En réhabilitant le vide, nous pouvons redonner du sens à nos vies. Non pour sombrer dans l’oisiveté, mais pour réapprendre à désirer et à créer différemment. Il est peut-être temps d’écouter ce vide qui murmure en nous. Non pour le combler ou le faire taire, mais pour entendre ce qu’il a à nous dire.
Référence, Hélène L’Heuillet, Le vide en nous, Albin Michel, 2024.
Publié le vendredi 28 mars 2025 . 4 min. 23
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