On a trop tendance à considérer l’IA comme un avatar de la révolution digitale. En réalité, l’IA est au digital, c’est à dire à l’informatique et à Internet, ce que l’informatique est à l’électricité, un très lointain descendant : pas d’ordinateur sans électricité, pas d’IA sans ordinateurs puissants et de larges bases de données.
Mais les différences entre les deux sont abyssales.
L’informatique et la digitalisation utilisent des algorithmes de traitements de données en vue d’un résultat que l’on souhaite exact. On y met des données bien organisées à la manière d’un tableau Excel et on en obtient des résultats sans erreurs. Votre déclaration d’impôts vous arrive pré-remplie et exacte sous réserve que les données y aient été entrées convenablement. On peut retracer ce qui a été calculé, précisément, et identifier chaque étape de l’algorithme.
Le digital est exact et la digitalisation de nombreuses transactions a supprimé l’erreur humaine, accéléré les traitements et parfois supprimé des emplois. Le digital est une machine à réduire les couts de transaction.
La digitalisation a aussi permis la naissance d’océans de données. Elle a permis l’arrivée d’algorithmes d’analyses de données. Elle a ouvert la porte à l’IA.
L’IA utilise des algorithmes très différents de ceux de l’informatique classique, ce sont des algorithmes de probabilité, d’approximation, d’analyse qualitative de données non organisées (des photos, des textes multilingues, des images complexes de radiographies, des sons, etc.). Elle est une machine à réduire les couts d’analyses. Elle va nous livrer des résultats, certes impressionnants, mais toujours approchés, approximatifs. Un exemple simpliste : les résultats que donne Google Translate. C’est formidable mais un peu aléatoire.
L’IA est approximative mais ses compétences analytiques sont entachées d’autres biais. On peut tromper l’IA plus facilement que l’on trompe un système informatique, notamment par des images que l’on peut manipuler ou des bases de données incomplètes. Ensuite, comme toutes ses données viennent du passé, l’IA ne peut pas accommoder une donnée disruptive nouvelle. Si l’IA est quasiment parfaite pour analyser des radiographies, elle est moins pertinente dans des situations où des éléments nouveaux apparaissent. Par exemple, les IA utilisées pour la conduite d’automobiles autonomes ont dû être ré-entrainées pour tenir compte des humains à trottinettes. En stratégie, l’IA ne connait ni les océans bleus, ni les cygnes noirs et ne vous servira pas de sitôt des propositions d’innovations ou de disruptions.
Cette différence est importante en prospective et en stratégie pour les entreprises : il ne faut pas confondre transaction exacte et prédiction approximative, même de bonne qualité, ce sont deux animaux qui en fait n’ont rien à voir. Le digital pouvait être vu comme remplaçant l’humain, l’IA est un complément l’enrichissant. On peut faire confiance à notre feuille d’impôts, moins à l’IA utilisée pour porter un jugement sur une personne ou une situation.
Ne laissons pas l’IA décider seule. Si l’on accepte de faire confiance aux hommes, de reconnaitre que nous sommes responsables de nos actes, de nos erreurs, de nos jugements, même s’ils sont aidés par une IA, alors philosophiquement nous restons profondément humains. Mais si nous abdiquons notre jugement pour accepter celui de l’IA, nous perdons notre humanité.
En laissant l’IA à sa juste place de machine à analyser pour nous assister, elle peut nous aider à créer des avantages compétitifs considérables. Elle permet des prévisions de certains comportements individuels, de comportements d’écosystèmes comme celui du climat, elle peut le faire mieux que nos anciennes analyses d’actuaires de la donnée. Elle va nous servir en recherche médicale, en conduite de véhicules, en climatologie, etc. Bref dans tous les usages qu’on lui prête aujourd’hui et bien d’autres à découvrir, mais seulement tant que nous saurons la garder à sa place.
Publié le jeudi 18 novembre 2021 . 4 min. 18
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de Dominique Turcq
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