Avez-vous remarqué à quel point la comptabilité nous trompe ?
Cet instrument génial qu’est la comptabilité est peut-être aussi le plus grand ennemi de notre entendement car il nous conduit à un biais cognitif affolant : nous ne croyons que ce que nous comptons !
Tout d’abord la comptabilité, créée par un capitalisme qui s’intéressait d’abord à l’investissement en capital, ne regarde que très marginalement les hommes. Ceux-ci ne sont pas un actif, un paradoxe quand il s’agit de ceux qu’on appelle les actifs. Les hommes sont un cout donc il n’y a pas à les compter comme actifs, pas à les amortir, pas à compter leur enrichissement par la formation. Et si on les licencie, bingo, on économise des couts ! La formation qu’on leur donne n’est pas très différente des achats de fournitures. D’ailleurs il en est de même des free-lance ou des intérimaires qui passent tous par le service achat. Ils n’ont, par implication, que peu de valeur. Ils sont par définition un cout ajustable, variable. Plus facile encore à ajuster que les CDI, pour lesquels quelques couts marginaux peuvent être entrainés. Les robots par contre, eux, sont des actifs, amortissables, gardant une valeur, voire peuvent être revendus avec une plus-value. Les seuls salariés que je connaisse qu’on peut vendre avec une plus-value sont les footballeurs.
Ensuite, la comptabilité ne peut prendre en compte que ce qui est mesuré pour elle, pas le reste, et notamment pas ce qui lui est présenté comme gratuit. Elle ne s’intéresse donc pas à l’environnement et à la planète. L’énergie est un cout, la pollution ne le devient que quand la loi demande de faire des frais pour la limiter ou la corriger. Les émissions de CO2 et l’ensemble de la dette écologique d’une entreprise n’existent pas en comptabilité.
Bien sûr cela s’applique aussi à la comptabilité publique. Le PIB est souvent dénoncé comme un résultat comptable absurde car il ne tient aucun compte des dettes contractées envers la nature. Il est même en pleine forme quand il y a une économie de guerre ou quand un tremblement de terre ou un tsunami détruit beaucoup et donc génère beaucoup de reconstructions…
Bref, cela signifie que nous avons jusqu’à présent inventé et utilisé, comme les fraudeurs, une double comptabilité, l’une avec ce qui est comptable, l’autre, invisible dans les chiffres mais visible dans la nature, avec ce qu’on n’avait pas envie de compter.
Si l’on ne compte pas des éléments comme intrants, pourquoi faudrait-il partager la valeur avec eux ? Le partage de la valeur concerne surtout le capital, un peu le travail des CDI mais aucun des autres intrants et surtout pas la nature.
Il nous faut au XXIème siècle changer notre regard sur la comptabilité et, soit en créer une nouvelle, soit en créer une parallèle mais bien visible, pas occulte, pour tenir compte des externalités de l’activité de l’entreprise.
Comme la comptabilité est ce qui permet d’établir des KPI pour les performances des entreprises ou des personnes. Tant que ceux-ci ne prendront pas en compte les externalités, ils seront une imposture.
Bien sûr, de nouveaux indicateurs demandent actuellement aux entreprises des efforts pour l’environnement et le social, on voit arriver de nouvelles exigences de reporting, mais tant que la comptabilité finale, celle qui détermine le résultat d’une entreprise et sa valeur boursière, ne prendra pas en compte ses externalités et ne rendra pas le producteur redevable de toutes les responsabilités de ses intrants, elle sera une imposture.
Publié le mardi 05 novembre 2024 . 3 min. 34
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